Il ne faut pas désespérer la France périphérique…

… maintenant que Billancourt n’existe plus

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Le titre de cet article est inspiré par une phrase qu’aurait dite Jean-Paul Sartre en 1968 : « Il ne faut pas désespérer Billancourt ». L’usine Renault de Billancourt était alors une citadelle ouvrière. En réalité, il semble que cette phrase provienne du collage de deux répliques de Nekrassov, une pièce peu connue de Jean-Paul Sartre, créée en 1955 : « Il ne faut pas désespérer les pauvres » et « Désespérons Billancourt ». Aujourd’hui, Billancourt n’existe plus, en tout cas en tant que bastion syndical, et, avec la désindustrialisation, le néo-libéralisme et leur impact sur le développement de l’individualisme, la classe ouvrière a volé en éclats. Mais la recherche sociologique et économique récente met en évidence l’émergence d’une France périphérique, probablement majoritaire dans la population et en croissance, qui ne bénéficie pas des avantages de la mondialisation et continue à se marginaliser.

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« L’imposture » Tsipras, ou l’abjection des commentateurs ?

Photo : © A. Savin, Wikimedia Commons

Crise grecque, médias et politiques

 

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Tout d’abord, un petit étonnement : beaucoup des hurlements des journalistes contre le référendum grec parlent du « oxi », qui voudrait dire « non ». Rappelons que non, en grec, se dit οχι, avec un « χ», la lettre khi, et pas un « ξ », la lettre xi. Cela se prononce donc ochi, avec un ch chuinté comme dans l’allemand weich ou Bücher. Si on veut faire cultivé, on se renseigne un minimum… Ce sont les mêmes qui parlent de Peter Handke en prononçant « Piter », comme ils pensent que cela se prononcerait en anglais, est pas « Péter ». Décevant…

Sur les péripéties de la crise de l’euro, les prises de position des politiques et les commentaires dans les médias sont bien souvent d’une violence et d’une mauvaise foi stupéfiantes. Cela dénote certainement une volonté d’humilier les Grecs, qui illustre bien la thèse de Bertrand Badie dans son livre Le Temps des humiliés [1]. On peut parler, en le citant, d’une « pathologie » de la diplomatie de l’Union européenne. Prenons quelques exemples, relevés avant le Non exprimé par les Grecs le 5 juillet à 61,3 % des votants. Un autre article de ce blog portera sur les suites du referendum.

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Question 1. Qui a accusé le FMI de collusion avec Syriza ?

En répondant massivement « non » à la question biaisée qui leur avait été posée par un gouvernement manipulateur [2], les Grecs ont ostensiblement tourné le dos à ce que leur proposait l’Europe : de nouvelles aides contre des réformes. L’histoire retiendra qu’ils l’ont fait avec un coup de pouce sidérant du Fonds monétaire international, lequel, à quelques jours du scrutin, a subitement donné du crédit aux thèses d’Alexis Tsipras réclamant une restructuration massive de la dette grecque – en plus des allègements déjà consentis qui représentent, rappelons-le, une année de PIB !

Le FMI deviendrait-il aussi gauchiste que Syriza ? On en frémit d’avance ! Ainsi donc, il est « sidérant » de considérer que la dette grecque n’est pas soutenable, et d’envisager une sortie négociée de la crise plutôt qu’un Grexit sauvage qui se traduirait par des impayés de centaines de milliards d’euros ? Je dirais plutôt que c’est une preuve d’intelligence d’étudier deux scénarios alternatifs, et c’est le devoir d’une institution comme le FMI, si elle est raisonnable, d’exprimer sa préférence.

Réponse 1. C’est Nicolas Barré, dans l’éditorial des Échos du 06-07-2015.

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Question 2. Quand le FMI a-t-il « subitement donné du crédit aux thèses d’Alexis Tsipras » et sous quelle forme l’a-t-il fait ?

Réponse 2. Selon une dépêche du 3 juillet de l’agence Reuters, dans son « rapport publié à Washington, le FMI estime que la dette de la Grèce ne sera pas viable si elle n’est pas considérablement allégée, éventuellement via une annulation de prêts accordés par ses partenaires de la zone euro ».

Mais, plus intéressant encore, la même dépêche a préalablement indiqué :

Les pays de la zone euro ont tenté en vain d’empêcher la publication jeudi [2 juillet] du rapport du Fonds monétaire international (FMI) sur la dette de la Grèce, dont le gouvernement d’Alexis Tsipras s’est emparé vendredi pour le présenter comme un argument de poids en faveur du « non » au référendum organisé dimanche, a-t-on appris de sources informées de ces débats.

Toujours selon Reuters, c’est lors d’une réunion du conseil d’administration du FMI, mercredi 1e juillet, que « les pays de la zone euro ont tenté en vain d’empêcher la publication jeudi du rapport ». Devant la position majoritaire du conseil, ils ont dû céder, et le rapport a donc été publié le lendemain.

Ce qu’on peut trouver « sidérant », comme diraient Les Échos, c’est que ce rapport soit diffusé trois jours après la date à laquelle la Grèce n’a pu payer son échéance au FMI, et trois jours avant le référendum grec, alors que les négociateurs grecs demandent depuis 5 mois que les engagements qu’ils devront prendre pour améliorer leurs finances publiques soient accompagnés d’un engagement clair des « institutions [3] » sur le réaménagement de sa dette. Mais ces institutions ont toujours exigé des engagements immédiats de la Grèce contre l’annonce de l’organisation à l’automne de négociations sur ce réaménagement : la Grèce était priée de faire confiance. En s’exprimant quelques mois plus tôt, le FMI aurait certainement permis que les négociations se passent mieux et aboutissent à un compromis acceptable par toutes les parties et que la crise soit moins longue et moins déstabilisante.

Ce qu’on peut trouver encore plus « sidérant », c’est la politique de l’autruche des gouvernants de la zone euro, qui cherchent à censurer un rapport du FMI sous prétexte qu’il s’oppose à leurs objectifs. L’Union européenne est donc plus néo-libérale que le FMI : on en était convaincu, c’est désormais démontré. Et, de plus, elle cherche à censurer des avis d’experts, pourtant peu suspects d’antilibéralisme, qui ne vont pas complètement dans le sens qu’elle souhaite.

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Question 3. Qui a dit, lors d’une réunion entre les institutions et les négociateurs grecs : «L’urgence est de rétablir le dialogue, avec des adultes dans la pièce» ?

Réponse 3. C’est Christine Lagarde, présidente du FMI. Cette déclaration, citée par 20 minutes, avait certainement pour objectif principal d’humilier les Grecs : avec leur attitude, leur absence de cravate, était sans doute bien la preuve qu’ils étaient des amateurs. Qu’aurait-on dit si ces mêmes Grecs avaient, dans une réunion de même type, dit qu’ils préfèreraient avoir des interlocuteurs qui ne soit pas mis en examen par la cour de justice de la République française [4] ?

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Question 4. Qui a écrit les paragraphes suivants ?

Alexis Tsipras et son parti Syriza ont montré leur vrai visage: celui d’un groupe de rupture, antisystème, anticapitaliste, et pour finir anti-européen, dont le modèle, s’il existe, doit être recherché du côté du Venezuela de feu Hugo Chavez. Un national-populisme avec comme moteur en lieu et place de la dénonciation du diable américain, une intense propagande anti-allemande faisant de la seule Angela Merkel la responsable de tous les maux de la Grèce.

Ils ne peuvent pas abandonner les Grecs à leur triste gouvernement. Ils méritent mieux que Tsipras et ses alliés. Comme ils n’avaient pas hier mérité les colonels.

Réponse 4. C’est Jean-Marie Colombani [5], dans un article de Slate.fr, titré, de façon très modérée, « L’imposture Tsipras ». À ses yeux, ne pas être d’accord avec lui équivaut donc à être favorable à une dictature militaire ?

Cette modération extrême de la part de J.-M. Colombani n’étonnera pas ceux qui se souviennent de ses positions au moment du référendum de 2005 sur le projet de traité établissant une constitution pour l’Europe (TCE). On se souvient que la quasi-totalité des politiques et des médias avaient fait une campagne forcenée pour le Oui, et que, malgré cela, le Non l’avait emporté avec 54,7 % des voix. Dans son éditorial du Monde daté du 31-05-2005, paru le lendemain du référendum, J.-M. Colombani écrivait :

Dans ce scrutin, organisé par un homme qui risque désormais de passer à la postérité comme le Docteur Folamour de la politique [il s’agit de Jacques Chirac], usant contre lui-même à quelques années d’intervalle, de la dissolution et du référendum, l’enjeu concernait en premier lieu une idée. Une idée à abattre.

Les tenants du non voulaient en effet en finir avec ce qu’ils considèrent comme le mythe européen. Par nationalisme, par xénophobie, par dogmatisme ou par nostalgie, ils voulaient se débarrasser de cette Europe qui barre l’horizon, qui dérange les habitudes, qui impose des changements.

Pour J.-M. Colombani, le vote Non était donc le fait de Français du passé, qui ne pouvaient être que nationalistes (à ses yeux, tout nationalisme est-il condamnable ?), xénophobes, dogmatiques ou/et nostalgiques. Il n’avait pas compris que l’énorme pression mise par ce qu’il est convenu d’appeler « les élites » sur un vote Oui ne pouvait qu’aggraver les inquiétudes suscitées chez les électeurs par un projet de traité illisible, proposant une organisation de l’Union européenne totalement inadaptée à un fonctionnement avec 25 États [6]. Il n’a toujours pas compris que le mépris qu’il affiche pour un referendum dès que son résultat ne va pas dans le sens qu’il attendait, et pour la large majorité de Grecs ou de Français qui ont voté Non, fait le lit de l’extrême droite. Respect de la démocratie, quand tu nous tiens…

J.-M. Colombani n’est pas le seul à avoir affiché ce niveau de mépris après le Non au referendum de 2005. L’éditorial de Serge July, dans Libération du lundi 30 mai 2005, s’intitulait « Chef-d’œuvre masochiste » et disait en particulier :

Comme en pareil cas, il fallait des leaders d’occasion qui nourrissent ce désarroi national. Les uns ont surenchéri dans la maladresse, les autres dans les mensonges éhontés. À l’arrivée, un désastre général et une épidémie de populisme qui emportent tout sur leur passage, la construction européenne, l’élargissement, les élites, la régulation du libéralisme, le réformisme, l’internationalisme, même la générosité

Encore et toujours le respect de l’adversaire…

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On pourrait multiplier les exemples. Je m’arrêterai là. Si vous voulez poursuivre sur le sujet, le site d’Acrimed mérite une visite.

La position de certains journalistes est, heureusement, plus modérée. Bizarrement, il s’agit par exemple de Maria Malagardis, envoyée spéciale de Libération à Athènes, ou Angélique Kourounis, correspondante de Radio France à Athènes. La consonance grecque de leur nom y serait-il pour quelque chose ? Peut-on être femme, d’origine grecque et à la fois intelligente et honnête ? Qu’en pensent nos politiciens et nos intellectuels médiacrates ?

Mais il faut se poser la question : pourquoi l’injure et le mépris sont-ils d’un usage tellement systématique dans les médias et le monde politique ? L’humiliation de l’adversaire ne devrait pas être,n en démocratie, une pratique banale.

 

© Serge Ruscram, 15-07-2015
Utilisation possible, sous réserve de mentionner l’auteur et l’URL du blog.

[1] Bertrand Badie, Le Temps des humiliés. Pathologie des relations internationales, Odile Jacob, 2014

[2] Ici comme dans la suite de l’article, c’est moi qui souligne.

[3] C’est l’euphémisme qui remplace désormais l’expression « la troïka » pour désigner les créanciers de la Grèce : le FMI, l’Union européenne et la Banque centrale européenne.

[4] Christine Lagarde a été mise en examen le 27-08-2014 par les magistrats de la commission d’instruction de la cour de justice de la République (CJR) dans le cadre de l’affaire Tapie-Crédit Lyonnais, pour « négligence d’une personne dépositaire de l’autorité publique » dans le cadre de la décision de saisir un tribunal arbitral pour régler le contentieux entre Bernard Tapie et le consortium de réalisation (CDR). Le CDR est la structure de défaisance créée par l’État en 1995 dans l’affaire du Crédit lyonnais. Ch. Lagarde affirme que cette décision a été signée de son nom par son directeur de cabinet, Stéphane Richard, avec une « griffe » (machine à signer), sans qu’elle se souvienne avoir été informée de son contenu, et qu’elle n’avait pas suivi en détail cette affaire (source : LeMonde.fr du 27-08-2014). Si c’est le cas, elle choisit bien mal ses collaborateurs, ce qui, pour un ministre, me paraît une faute professionnelle grave. Espérons qu’elle a progressé depuis qu’elle est présidente du FMI. Cet arbitrage, qui a abouti à un paiement de plus de 400 M€ à Bernard Tapie, a été annulé le 17-02-2015 par la cour d’appel de Paris (qui a ordonné « la rétractation de la sentence arbitrale »).

[5] J.-M. Colombani, qui a présidé aux destinées du journal Le Monde, de 1994 à 2007, comme directeur puis comme président du directoire, est depuis 2008 président d’E2J2, société éditrice de Slate.fr.

[6] Pour plus de détails sur le TCE, on peut se reporter à l’article « À propos des institutions de l’Union européenne… » de ce blog. L’Union européenne était passée de 15 à 25 États en 2004 ; elle en compte actuellement 28. Les institutions européennes fonctionnaient déjà mal à 15, et l’élargissement à 25 avait été fait avant qu’elles soient modifiées. La procédure de modification à 25 était d’une complexité extrême, ce qui a abouti à un projet de traité extrêmement complexe, et inefficace en cas de crise. Malgré le rejet de la ratification du projet de TCE par referendum en France et aux Pays-Bas, le traité de Lisbonne, qui ressemble étrangement au projet de TCE, a finalement été promulgué en 2007. La France a ratifié ce traité par un vote du Parlement, qui contredisait le résultat du referendum.

Que devient la valeur Égalité ?

Image : devise révolutionnaire sous la Terreur
© http://www.lepassepresent.com

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D’après une exposé fait en juillet 2015

Liberté – Égalité – Fraternité, c’est la devise de la République française. Elle est apparue en 1790 dans un discours de Robespierre sur l’organisation de la Garde nationale de la Révolution française. Chacun des deux premiers mots correspond à une caractéristique de la société idéale que la République souhaite. Le 3e désigne plutôt une attitude dans les rapports humains et sociaux. On peut dire que la fraternité, bien comprise et réellement pratiquée, pousse chacun à agir dans le sens de l’égalité.

Mais je ne vais pas parler aujourd’hui de Fraternité. C’est un autre sujet, sur lequel il y aurait beaucoup à dire. Je me bornerai à parler d’Égalité, si je choisis une formulation optimiste, ou, dans le cas contraire, d’inégalité. Lire la suite « Que devient la valeur Égalité ? »

À propos des institutions de l’Union européenne…

Image : Paysage avec l’enlèvement d’Europe, Hendrik van Minderhout (1632 –1696), musée des beaux-arts de Rouen (détail)
© Wikipédia

Cette illustration a été choisie en référence à un récent livre de Robert Salais, Le Viol d’Europe. Enquête sur la disparition d’une idée (PUF, 2013), dont l’argument est que l’Union européenne, dès son origine, a été victime d’un conflit entre la volonté d’en faire une entité libérale, avec pour objectif essentiel la mise en place de la « concurrence libre et non faussée », et des objectifs politiques et sociaux, ceux-ci ayant toujours perdu toutes les batailles : la référence que fait le titre du livre au mythe de l’enlèvement et, dans une de ses deux versions, du viol de la princesse Europe par Zeus ayant pris la forme d’un taureau figure cette succession de défaites.

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Quelques réflexions anciennes

Le texte qui suit a été écrit en février 2005, au moment de la campagne du référendum français sur le projet de traité pour une constitution européenne (TCE). Rappelons le résultat de ce référendum : le projet de TCE a été largement rejeté le 29 mai 2005, sous la présidence de Jacques Chirac, par 54,67 % de Non, avec un taux de participation de 69,34 % et un taux de blancs et nuls de 2,51 %. Le contenu du traité, dont la mise en œuvre aurait nécessité la ratification par l’ensemble des États de l’Union européenne, a ensuite été renégocié et la France a ratifié son remplaçant, le traité de Lisbonne, le 8 février 2008, cette fois par voie parlementaire, sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Lire la suite « À propos des institutions de l’Union européenne… »

« Contreparties chiffrées », vous avez dit « Contreparties chiffrées », mon cher cousin ?

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Pacte de responsabilité, langue de bois, manipulation et incompétence

En ouverture de sa conférence de presse du 14 janvier dernier, le président de la République, François Hollande, a défini les quatre chantiers du pacte de responsabilité Lire la suite « « Contreparties chiffrées », vous avez dit « Contreparties chiffrées », mon cher cousin ? »

Signez le manifeste « Pour une union politique de l’euro » !

Image : L’Enlèvement d’Europe par le Titien (1959-1562), Isabella Stewart Gardner Museum, détail
© Wikipedia

Cette illustration a été choisie en référence à un récent livre de Robert Salais, Le Viol d’Europe. Enquête sur la disparition d’une idée (PUF, 2013), dont l’argument est que l’Union européenne, dès son origine, a  été victime d’un conflit entre la volonté d’en faire une entité libérale, avec pour objectif essentiel la mise en place de la « concurrence libre et non faussée », et des objectifs politiques et sociaux, ceux-ci ayant toujours perdu toutes les batailles : la référence que fait le titre du livre au mythe de l’enlèvement et, dans une de ses deux versions, au viol de la princesse Europe par Zeus ayant pris la forme d’un taureau figure cette succession de défaites.

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Le Monde daté du 18-02-2014 a consacré une pleine page au manifeste intitulé Pour une union politique de l’euro, accessible aux abonnés à LeMonde.fr. Mais il est préférable de consulter le manifeste complet sur le site qui lui est dédié. Et il faut l’y signer ! Lire la suite « Signez le manifeste « Pour une union politique de l’euro » ! »

Laïcité, égalité pour les femmes, révolutions arabes…

Un très intéressant colloque s’est déroulé le 23-01-2014 au Sénat, sur le sujet suivant :

La laïcité, un enjeu d’égalité pour les femmes, à la lumière des révolutions du monde arabe

Il était organisé par Françoise Laborde, sénatrice PRG de la Haute-Garonne, en partenariat avec l’association Égale (Égalité, Laïcité, Europe) et l’AFEM (association pour les femmes de l’Europe méridionale).

Le programme complet est fourni plus bas. L’ensemble des interventions est accessible en audio sur le site d’Égale.

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Le premier aspect intéressant de ce colloque est qu’il a donné la parole à des laïques, et surtout à des femmes laïques, du Sud et de l’Est du bassin méditerranéen, issu(e)s du Maroc, d’Algérie, de Tunisie, d’Égypte, du Liban, d’origines culturelles et de convictions spirituelles diverses… Ce sont des voix à qui les médias donnent bien peu de place, alors qu’elles existent plus que, de ce fait, on ne l’imagine souvent : raison de plus pour les écouter et diffuser leur parole.

Le deuxième aspect intéressant, et essentiel, est qu’à travers cette diversité d’opinions, par exemple sur l’appréciation de la toute récente constitution tunisienne, une grande unanimité se fait sur le fait que la liberté de conscience et la libération de la femme passent obligatoirement par la séparation de l’État et des religions, quelles qu’elles soient.

Si vous prenez le temps d’écouter toutes les interventions, vous aurez un vaste panorama de la situation des femmes, et de ce que la laïcité apporterait, dans le Sud et l’Est du bassin méditerranéen (avec les interventions du matin) et en Europe (avec celles de l’après-midi).

Si vous voulez faire une sélection, je vous indique ce qui m’a paru le plus original et m’a appris le plus de choses :

  • dans la 1e table ronde, la juxtaposition des interventions de Jean Maher (enregistrement audible à partir de l’index 300 seulement) et de Nadia El Fani donne deux interprétations divergentes, l’une optimiste et l’autre beaucoup moins, de l’état de la révolution tunisienne et de la récente constitution ;
  • dans la 2e table ronde, l’intervention de Soad Baba Aïssa donne des informations sur la situation des femmes en Algérie, pays dont on parle trop peu depuis le déclenchement des révolutions arables ; elle souligne que le danger et la vigueur des intégrismes des religions autres que l’islam ne doivent pas être oubliés, et rappelle opportunément que les institutions françaises respectent trop souvent insuffisamment la laïcité, avec des conséquences graves : risques de développer le communautarisme, risques de ce qu’on appelle souvent abusivement les « aménagements raisonnables »… ;
  • toujours dans la 2e table ronde, Zineb El Rhazoui décrit la situation des femmes au Maroc, ce qui conduit à fortement relativiser l’image modérée du royaume chérifien souvent donnée par les médias ;
  • dans la 4e table ronde, Moussa Allem donne une vision de l’action pour l’égalité fondée sur sa pratique du travail sur le terrain en France, qui diverge des positions habituelles dans le monde laïque : pour lui, par exemple, militer contre le port du voile n’est pas un objectif prioritaire, il vaut mieux s’attacher à réunir les conditions pour que les femmes musulmanes participent davantage à la vie de la cité et aux activités sociales ;
  • enfin, la conclusion des travaux, présentée par Gérard Delfau, montre bien l’originalité de ce colloque.

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Programme complet

9 h 30 :  mot de bienvenue par Françoise Laborde, sénatrice

9 h 45 :  allocution d’ouverture, par Fatima Lalem, adjointe au maire de Paris chargée de l’égalité femme/homme

10 h 15 :  introduction au débat, par Jean-Claude Boual, secrétaire général adjoint d’Égale

Matin : les enjeux dans le monde arabe et la région méditerranéenne

10 h 30 :  première table ronde, Les révolutions pour les droits universels

Modératrice : Nelly Jazra-Bandarra, vice-présidente de l’AFEM

Participants :

  • Saïda Douki-Dedieu, psychiatre
  • Jean Maher, président de l’union égyptienne des droits humains, représentant des Coptes en France
  • Nadia El Fani, cinéaste, auteure du film Laïcité Inch Allah, lauréate du prix de la laïcité 2011

11 h 30 :  deuxième table ronde, Les revendications des droits universels dans la région

Modératrice : Laure Caille, déléguée à l’égalité femmes / hommes au sein d’Égale

Participantes :

  • Zineb El Rhazoui, journaliste et co-fondatrice du mouvement alternatif pour les libertés Individuelles (MALI), Maroc
  • Rose-Marie Massad-Chahine, professeure à la faculté des lettres et des sciences humaines de l’Université libanaise, Liban
  • Nathalie Pilhes, secrétaire générale à la délégation interministérielle à la Méditerranée, France
  • Soad Baba Aïssa, présidente de l’association pour la mixité, l’égalité, et la laïcité (AMEL), Algérie

Après-midi : les enjeux en Europe et en France

14 h 30 :  introduction au débat par Catherine Sophie Dimitroulias, vice-présidente de la conférence des organisations internationales non-gouvernementales du conseil de l’Europe, vice-présidente de l’AFEM

14 h 45 :  troisième table ronde, La laïcité et l’égalité en Europe

Modératrice : Teresa Boccia, professeure à l’Université Federico II de Naples, experte auprès de l’ONU, présidente de l’AFEM

Participantes :

  • Véronique de Keyser, députée européenne, Belgique
  • Ingvill Thorson Plesner, conseillère principale au centre pour les droits de l’homme, Norvège
  • Carmen Romero López, députée européenne, Espagne

15 h 45 :  quatrième table ronde, Les chantiers de l’égalité et de la laïcité en France

Modératrice : Martine Cerf, secrétaire générale d’Égale

Participants :

  • Françoise Brié, membre du haut conseil de l’égalité, vice-présidente de la fédération nationale solidarité femmes (FNSF), France
  • Moussa Allem, chargé de mission à la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) de la région Nord-Pas de Calais
  • Caroline Eliacheff, pédopsychiatre, auteure de Comment le voile est tombé sur la crèche
  • Jean-Paul Delahaye, directeur général à la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO), France

17 h 00 :  synthèse des travaux et conclusion, Gérard Delfau, ancien sénateur, président d’Égale

© Serge Ruscram, 04-02-2014
Utilisation possible, sous réserve de mentionner l’auteur et l’URL du blog.

L’égalité, enfin !

Images : Adam Smith, David Ricardo, l’Égalité de la place de la République, Karl Marx, Thomas Piketty
© Wikipedia pour les 4 premières, École d’économie de Paris pour la cinquième

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À propos du livre de Thomas Piketty Le Capital au XXIe siècle (version 2, complétée)

J’ai évoqué assez brièvement dans un autre article de ce blog, « Croissance, environnement et égalité : 2 livres importants », le livre Le Capital au XXIe siècle de Thomas Piketty (Seuil, Les livres du Nouveau Monde, septembre 2013). Il mérite qu’on en reparle. Lire la suite « L’égalité, enfin ! »

Lampedusa : quoi de neuf ?

Le 3 octobre, au moins 359 immigrants clandestins se sont noyés au large de Lampedusa. Le 11 octobre, au moins 33 nouvelles victimes, entre Malte et Lampedusa. Et, tout à coup, les médias en font des pages entières ; et les politiques gesticulent : il faut que l’Union européenne prenne d’urgence des décisions fortes, on ne peut laisser l’Italie gérer seule ces vagues d’immigration sauvage… Certains d’entre eux voient l’aspect humanitaire ; d’autres y voient un argument pour regretter le bon vieux temps où Kadhafi réprimait Lire la suite « Lampedusa : quoi de neuf ? »

Note de lecture : « Le monde moderne et la question juive », Edgar Morin

Le monde moderne et la question juive, Edgar Morin, Seuil. Non conforme, 10-2006

Ce livre a été écrit après la conclusion de l’affaire déclenchée par un article signé d’Edgar Morin, Samir Naïr et Danièle Sallenave et intitulé Israël-Palestine : le cancer, publié dans le Monde du 04.06.2002.

E. Morin est judéo-gentil [1] : cette appartenance, qu’il revendique, et toute l’histoire de son engagement devraient le mettre à l’abri de toute accusation d’antisémitisme. Néanmoins, France-Israël et Avocats sans frontières ont poursuivi ces auteurs pour « apologie du terrorisme et antisémitisme » ! Déboutés et condamnés en première instance, ils ont obtenu une condamnation pour diffamation raciale en appel, qui a finalement été cassée le 12 juillet 2006 avec une condamnation à une amende des entités qui avaient attaqué. Lire la suite « Note de lecture : « Le monde moderne et la question juive », Edgar Morin »