À propos des institutions de l’Union européenne…

Image : Paysage avec l’enlèvement d’Europe, Hendrik van Minderhout (1632 –1696), musée des beaux-arts de Rouen (détail)
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Cette illustration a été choisie en référence à un récent livre de Robert Salais, Le Viol d’Europe. Enquête sur la disparition d’une idée (PUF, 2013), dont l’argument est que l’Union européenne, dès son origine, a été victime d’un conflit entre la volonté d’en faire une entité libérale, avec pour objectif essentiel la mise en place de la « concurrence libre et non faussée », et des objectifs politiques et sociaux, ceux-ci ayant toujours perdu toutes les batailles : la référence que fait le titre du livre au mythe de l’enlèvement et, dans une de ses deux versions, du viol de la princesse Europe par Zeus ayant pris la forme d’un taureau figure cette succession de défaites.

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Quelques réflexions anciennes

Le texte qui suit a été écrit en février 2005, au moment de la campagne du référendum français sur le projet de traité pour une constitution européenne (TCE). Rappelons le résultat de ce référendum : le projet de TCE a été largement rejeté le 29 mai 2005, sous la présidence de Jacques Chirac, par 54,67 % de Non, avec un taux de participation de 69,34 % et un taux de blancs et nuls de 2,51 %. Le contenu du traité, dont la mise en œuvre aurait nécessité la ratification par l’ensemble des États de l’Union européenne, a ensuite été renégocié et la France a ratifié son remplaçant, le traité de Lisbonne, le 8 février 2008, cette fois par voie parlementaire, sous la présidence de Nicolas Sarkozy.

Le traité de Lisbonne ne remet pas en cause les principes et orientations du projet de TCE qu’il remplace. Valéry Giscard d’Estaing a par exemple déclaré à son sujet : « Ils sont partis du texte du traité constitutionnel, dont ils ont fait éclater les éléments, un par un, en les renvoyant, par voie d’amendements aux deux traités existants de Rome (1957) et de Maastricht (1992). […] La conclusion vient d’elle-même à l’esprit. Dans le traité de Lisbonne, rédigé exclusivement à partir du projet de traité constitutionnel, les outils sont exactement les mêmes. Seul l’ordre a été changé dans la boîte à outils. La boîte, elle-même, a été redécorée, en utilisant un modèle ancien, qui comporte trois casiers dans lesquels il faut fouiller pour trouver ce que l’on cherche [1] ».

Il y a donc bien eu, à mon avis, déni de démocratie : le vote, incontestablement largement négatif, des électeurs français n’a pas été respecté, et des institutions très proches de celles qu’il prévoyait ont été ensuite mises en place sans nouveau référendum.

C’est parce qu’il formule des critiques presque totalement encore valables sur le caractère complexe et non démocratique des institutions européennes qu’il m’a semblé intéressant de présenter de nouveau cet argumentaire, écrit sur un projet de traité mort-né. Il précise certains éléments d’un autre article de ce blog : « Les coopérations renforcées, pour sauver l’Europe ! »

Voici ce texte.

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Je suis né en 1948 dans le Nord de la France. Cette année-là, il fallait encore des tickets de rationnement pour acheter de nombreux produits. Quatre ans avant, dans un village situé à 4 km du mien, un régiment allemand, en se repliant, avait assassiné 36 hommes et adolescents mâles qui n’étaient pas des résistants. Bien sûr, je n’ai su tout cela que plus tard, mais je connais les mères, les femmes, les frères de certains d’entre eux… Pendant ma petite enfance, les traumatismes liés à la guerre étaient forts, et la haine du « boche » s’exprimait souvent violemment.

Je me souviens avoir vu, dès le début de mon adolescence, la construction européenne s’engager, puis avancer à pas de géant. Quand j’avais 15 ans, j’avais des correspondants allemands et les relations entre français et allemands n’avaient plus aucun rapport avec ce que j’avais d’abord connu.

Vous comprendrez donc pourquoi je suis complètement pro-européen.

Dans quelques semaines, nous allons être consultés par référendum sur le projet de traité établissant une constitution européenne (TCE). Sauf si on envisage de s’abstenir ou de voter blanc ou nul, ce qui n’est pas dans mes habitudes, on se trouve évidemment face à l’alternative référendaire classique : le choix devrait être simple. Mais les arguments avancés pour justifier l’une ou l’autre des réponses sont particulièrement divers : on a du mal à y voir clair…

L’extrême droite et les souverainistes, souvent de droite mais quelquefois de gauche, voteront Non pour, disent-ils, sauver l’État-nation. Mais celui-ci a-t-il encore les moyens de peser seul sur l’évolution du monde ?

L’extrême gauche, les alternatifs et la « gauche de la gauche » de gouvernement voteront pour la plupart Non, pour s’opposer à la mondialisation libérale galopante qui serait favorisée par ce nouveau traité. Mais quelle alternative proposent-ils ? Leurs revendications ne me paraissent pas avoir plus de chances d’aboutir avec les traités actuels qu’avec le projet, et ils ne proposent pas de projet alternatif…

Une partie importante de la droite de gouvernement votera Oui dans l’enthousiasme : des libéraux parce que le traité promeut « un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée » [2], des chrétiens fondamentalistes parce qu’ils auront plus de poids avec l’apport de nouveaux adhérents et pourront mieux combattre la laïcité, des néoconservateurs atlantistes parce que les procédures de décision rendront très difficile la prise d’autonomie des 25 par rapport à l’alliance atlantique…

La majorité du PS s’est déclaré pour le Oui, à hauteur de 59%, après un débat souvent très riche. Le PS fait campagne pour le Oui, avec l’argument qu’il y a quelques avancées démocratiques dans le projet de traité, et pour certains, je pense, avec l’arrière-pensée soigneusement tue que la ratification du traité accroîtrait l’engagement de la France sur la voie du social-libéralisme que la gauche au pouvoir a pour le moins accompagné. Mais la tonalité de la campagne du PS heurte les 41% qui se sont déclarés pour le Non, les tensions internes sont désormais fortes et les arguments du Non paraissent être de plus en plus écoutés par les sympathisants et même à l’intérieur du parti.

Les partisans du Oui amateurs de langue de bois, de tous bords, utilisent en outre l’argument que la non-ratification bloquerait définitivement l’Europe. Pourtant, elle fonctionne dans le cadre institutionnel actuel et pourra continuer à le faire si le traité n’est pas ratifié…

Tout cela ne me convainc pas. Il me semble en revanche essentiel de souligner des risques majeurs qui m’apparaissent à la lecture du projet.

1      Quelques critiques majeures

1.1    Rappel des deux critiques courantes

Je ne développerai pas ici ces deux point, qui le sont abondamment par ailleurs : le présent document s’intéresse au fonctionnement institutionnel qui s’installerait si le projet de traité était ratifié par les 25 États membres. Voici néanmoins quelques rappels.

1.1.1    Ce projet de traité est-il libéral ?

Le libéralisme du projet de traité est la critique la plus fréquemment faite à gauche.

Premier article du chapitre Politique économique et monétaire :

 … l’action des États membres et de l’Union comporte… l’instauration d’une politique économique fondée sur l’étroite coordination des politiques économiques…, le marché intérieur [3] et la définition d’objectifs communs, et conduite conformément au respect de principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre.

« Parallèlement, […] cette action comporte une monnaie unique, l’euro, ainsi que la définition et la conduite d’une politique monétaire et d’une politique de change uniques dont l’objectif principal est de maintenir la stabilité des prix et, sans préjudice de cet objectif, de soutenir les politiques économiques générales dans l’Union, conformément au principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre [4] .

Premier article de la section La politique économique :

 Les États membres conduisent leurs politiques économiques pour contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union… Les États membres et l’Union agissent dans le respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre, favorisant une allocation efficace des ressources [5].

Premier article de la section La politique monétaire :

L’objectif principal du Système européen de banques centrales est de maintenir la stabilité des prix. Sans préjudice de cet objectif, le Système européen de banques centrales apporte son soutien aux politiques économiques générales dans l’union… Le Système européen de banques centrales agit conformément au principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre… [6].

1.1.2    La laïcité

L’art. I-52 Statut des églises et des organisations non confessionnelles précise :

  1. L’Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres.
  2. L’Union respecte également le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les organisations philosophiques et non confessionnelles.

Voilà qui est assez satisfaisant, même si les religions sont placées au premier rang, et les organisations philosophiques et non confessionnelles au second.

  1. Reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l’Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces églises et organisations.

Mais les choses se compliquent encore avec l’article II-70 Liberté de pensée, de conscience et de religion :

  1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

Quelle est dans ce contexte la place de la loi française contre le port de signes religieux à l’école ? Elle ne paraît pas compatible avec cet article [7].

Voyons également d’autres articles.

3.   La liberté de créer des établissements d’enseignement dans le respect des principes démocratiques, ainsi que le droit des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses, philosophiques et pédagogiques, sont respectés selon les lois nationales qui en régissent l’exercice [8].

Cela paraît autoriser une éducation qui inclurait le créationnisme et exclurait le darwinisme dans l’enseignement des disciplines scientifiques, comme c’est le cas dans certains des états les plus fondamentalistes des USA.

L’Union respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique [9].

Cette fois, la diversité philosophique n’est même plus mentionnée.

Au total, ces articles font payer au prix fort l’abandon de la revendication du Vatican et de certains états fort peu laïques que l’héritage chrétien de l’Europe soit mentionné dans le préambule du projet de traité comme seul héritage religieux : cet abandon a conduit à l’adoption de l’expression « les héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe ». La religion est placée au premier rang devant les convictions philosophiques, voire est seule citée. Il n’y a pas séparation des églises et de l’État, mais dialogue transparent et régulier !

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Centrons maintenant notre réflexion sur le fonctionnement institutionnel prévu par le projet de traité.

1.2    Le projet de traité et le fonctionnement institutionnel

1.2.1    La charte des droits fondamentaux de l’Union

Elle établit une distinction qui pourrait apparaître mineure à première vue, mais me paraît très révélatrice : elle distingue des sujets sur lesquels les personnes ont « droit à », d’autres sur lesquels les personnes ont « le droit de », d’autres enfin pour lesquels elle reconnaît et respecte le « droit des personnes à ».

Cette distinction permet des arguties juridiques qui peuvent être très dangereuses : est-il par exemple permis de considérer non seulement qu’il est pour le moins normal de considérer que « Toute personne a le droit de travailler… [10] », mais que l’inscrire dans une constitution n’apporte rien ? Il ne manquerait plus que le projet de traité refuse le droit de travailler… Bien entendu, l’introduction dans une constitution du droit au logement ou du droit au travail est plus un vœu pieux que l’ouverture d’un droit réel, mais c’est une orientation forte.

Ce « droit de » porte en particulier sur :

  • les relations sociales : droit de négocier et de conclure des conventions collectives… et de recourir… à des actions collectives pour la défense de leurs intérêts, y compris la grève [11],
  • l’accès à un service gratuit de placement [12] [comme l’ANPE],
  • la protection contre tout licenciement pour un motif lié à la maternité, ainsi que l’accès à un congé de maternité payé [13],
  • le traitement impartial et équitable et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l’Union [14].

Parmi les droits que l’Union, dans le projet de traité, « reconnaît et respecte », citons :

  • le droit des personnes âgées à mener une vie digne et indépendante [15],
  • le droit des personnes handicapées à bénéficier de mesures visant à assurer leur autonomie, leur intégration sociale et professionnelle et leur participation à la vie de la communauté [16],
  • l’accès aux prestations de sécurité sociale, à l’aide sociale et au logement [17],
  • l’accès aux services d’intérêt économique général [18].

Il ne manquerait plus qu’il ne reconnaisse et respecte pas ce droit…

Peut-on réellement, dans ces conditions, considérer que ce projet de traité apporte des avancées par exemple sur les droits sociaux ? Dans ce domaine, les seuls « droits à » portent sur :

  • la liberté de réunion et d’association [19],
  • l’accès à la formation et la faculté de suivre gratuitement l’enseignement obligatoire (sans qu’une durée soit précisée) [20].

On notera par ailleurs que la discrimination est interdite [21], et qu’il n’y a donc pas de possibilité de discrimination positive, sauf par l’intermédiaire de deux dérogations explicites, qui concernent l’égalité entre les femmes et les hommes (art. II-83) et l’intégration des handicapés (art. II-85).

1.2.2    Les processus de décision

Les principaux institutions et organes de l’Union sont le Parlement européen, le Conseil européen (composé des chefs d’État ou de gouvernement, du président du Conseil européen et du président de la Commission, et aux travaux duquel participe le ministre des affaires étrangères de l’Union), le Conseil des ministres (ou Conseil, qui peut siéger en différentes formations), la Commission européenne et la Cour de justice de l’Union européenne, ainsi que la Banque centrale européenne, la Cour des comptes et différents organes consultatifs [22].

Les processus de décision sont extrêmement complexes. Dans un très grand nombre de cas, les décisions ne peuvent se prendre que par consensus entre au moins deux des quatre premières institutions citées. De plus, ils attribuent un rôle extrêmement important à la Commission.

Les pouvoirs de la Commission paraissent pourtant à première vue limités : il s’agit apparemment essentiellement de veille, de surveillance, d’exécution, d’animation.

Les pouvoirs formels de la Commission

En effet, elle « promeut [23] l’intérêt général de l’Union et prend les initiatives appropriées [lesquelles ?] à cette fin. Elle veille à l’application de la Constitution ainsi que des mesures adoptées […]. Elle surveille l’application du droit de l’Union sous le contrôle de la Cour de justice […]. Elle exécute le budget et gère les programmes. Elle exerce des fonctions de coordination, d’exécution et de gestion [lesquelles ? …]. À l’exception de […], elle assure la représentation de la politique extérieure de l’Union. Elle prend les initiatives [lesquelles ?] de la programmation annuelle et pluriannuelle de l’Union pour parvenir à des accords interinstitutionnels [24] ».

En fait, la plupart des instruments juridiques utilisés par les institutions (qui sont « la loi européenne, la loi-cadre européenne, le règlement européen, la décision européenne, les recommandations et avis [25] ») ne peuvent être mis en œuvre que sur proposition de la Commission ou par la Commission elle-même. Prenons l’exemple du pouvoir législatif.

L’exemple du pouvoir législatif

Le Parlement européen exerce, conjointement avec le Conseil, les fonctions législative et budgétaire [26] ».

Le Conseil exerce, conjointement avec le Parlement européen, les fonctions législative et budgétaire [27].

Cela paraît clair a priori. Mais lisons l’art. I-26-2 : « Un acte législatif de l’Union ne peut être adopté que sur proposition de la Commission sauf dans le cas où la Constitution en dispose autrement » ; approfondissons avec l’art. III-396 :

1. Lorsque […] les lois ou lois-cadres européennes sont adoptées selon la procédure législative ordinaire, les dispositions ci-après sont applicables :
2. La Commission présente une proposition au Parlement européen et au Conseil.

1e lecture

3. Le Parlement européen arrête sa position en 1ère lecture et la transmet au Conseil.
4. Si le Conseil approuve la position du Parlement, l’acte concerné est adopté dans la formulation qui correspond à la position du Parlement.
5. Si le Conseil n’approuve pas la position du Parlement européen, il adopte sa position en 1e lecture et la transmet au Parlement européen.
6. Le Conseil informe pleinement le Parlement européen des raisons qui l’ont conduit à adopter sa position en 1e lecture. La Commission informe pleinement le Parlement européen de sa position.

2e  lecture

7.  Si, dans un délai de 3 mois après cette transmission, le Parlement européen :

a. approuve la position du Conseil en 1ère lecture ou ne s’est pas prononcé, l’acte concerné est réputé adopté dans la formulation qui correspond à la position du Conseil ;

b. rejette, à la majorité des membres qui le composent, la position du Conseil en 1ère lecture, l’acte proposé est réputé non adopté ;

c propose, à la majorité des membres qui le composent, des amendements à la position du Conseil en 1ère lecture, le texte ainsi amendé est transmis au Conseil et à la Commission qui émet un avis sur ces amendements.

8.  Si, dans un délai de 3 mois après réception des amendements du Parlement européen, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée :

a approuve tous les amendements, l’acte concerné est réputé adopté ;

b n’approuve pas tous les amendements, le président du Conseil, en accord avec le Président du Parlement européen, convoque le comité de conciliation dans un délai de 6 semaines.

9. Le Conseil statue à l’unanimité sur les amendements ayant fait l’objet d’un avis négatif de la Commission.

Conciliation

10. Le comité de conciliation, qui réunit les membres du Conseil ou leur représentant et autant de membres représentant le Parlement européen, a pour mission d’aboutir à un accord sur un projet commun à la majorité qualifiée des membres du Conseil ou de leurs représentants et à la majorité des membres représentant le Parlement européen dans un délai de 6 semaines à partir de sa convocation, sur la base des positions du Parlement européen et du Conseil en 2e lecture.
11. La Commission participe aux travaux du comité de conciliation et prend toute initiative nécessaire en vue de promouvoir un rapprochement des positions du Parlement européen et du Conseil.
12. « Si, dans un délai de 6 semaines après sa convocation, le comité de conciliation n’approuve pas de projet commun, l’acte proposé est réputé non adopté.

3e lecture

13. Si, dans ce délai, le comité de conciliation approuve un projet commun, le Parlement européen et le Conseil disposent chacun d’un délai de 6 semaines à compter de cette approbation pour adopter l’acte concerné conformément à ce projet, le Parlement européen statuant à la majorité des suffrages exprimés et le Conseil à la majorité qualifiée. À défaut, l’acte proposé est réputé non adopté.
14. Les délais de 3 mois et 6 semaines visés au présent article sont réputés prolongés respectivement d’un mois et de deux semaines au maximum à l’initiative du Parlement européen ou du Conseil.

La procédure législative est donc complexe. Elle suppose une proposition de la Commission et un consensus entre le Parlement (à la majorité) et le Conseil (à la majorité qualifiée). Comparons-la à la procédure législative française : sauf le cas rare d’intervention du gouvernement légiférant par ordonnances, le gouvernement, par l’intermédiaire des projets de loi, mais aussi le parlement, par l’intermédiaire des propositions de loi, ont, chacun de leur côté, l’initiative de proposer un texte de loi ; après les navettes et la commission mixte, l’assemblée nationale a le pouvoir législatif, même si le gouvernement peut la mettre sous pression par l’intermédiaire de l’article 49.3 [28]. Voilà qui paraît plus clair, plus simple… et plus démocratique.

Un autre exemple du pouvoir réel de la Commission

Comme nous le verrons au § 1.2.6, la Commission a aussi le pouvoir de bloquer toute demande d’instauration d’une coopération renforcée.

La complexité des processus de décision

Prenons, parmi des dizaines, trois autres exemples de processus complexes, exigeant l’obtention d’un consensus délicat.

Le Conseil européen se prononce par consensus, sauf dans les cas où la Constitution en dispose autrement [29].

Pour la désignation du président de la Commission européenne [30],

1. En tenant compte des élections au Parlement européen, et après avoir procédé aux consultations appropriées, le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, propose au Parlement européen un candidat à la fonction de président de la Commission. Ce candidat est élu par le Parlement européen à la majorité des membres qui le composent. Si ce candidat ne recueille pas la majorité, le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, propose, dans un délai d’un mois, un nouveau candidat, qui est élu par le Parlement européen selon la même procédure.

2. Le Conseil, d’un commun accord avec le président élu, adopte la liste des autres personnalités qu’il propose de nommer membres de la Commission. Le choix de celles-ci s’effectue, sur la base des suggestions faites par les États membres, conformément aux critères prévus à l’article I-26, paragraphe 4, et paragraphe 6, 2nd alinéa.

Le président, le ministre des affaires étrangères de l’Union et les autres membres de la Commission sont soumis, en tant que collège, à un vote d’approbation du Parlement européen. Sur la base de cette approbation, la Commission est nommée par le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée.

En ce qui concerne la politique économique [31],

2. « Le Conseil, sur recommandation de la Commission, élabore un projet pour les grandes orientations des politiques économiques des États membres et de l’Union et en fait rapport au Conseil européen.

« Le Conseil européen, sur la base du rapport du Conseil, débat d’une conclusion sur les grandes orientations des politiques économiques des États membres et de l’Union. Le Conseil, sur la base de cette conclusion, adopte une recommandation fixant ces grandes orientations. Il en informe le Parlement européen. »

En l’absence, dans la plupart des cas, de procédure d’arbitrage claire, force est de constater que presque toutes les décisions s’obtiennent par accords difficilement négociés, qui supposent la plupart du temps des compromis complexes et risquent d’aboutir à des consensus mous. Il suffit pour s’en convaincre de voir des exemples récents de processus de décision de ce type avec la nomination de certains présidents de commission et avec les auditions par le Parlement européen des candidats commissaires. Certes, ces exemples concernent les institutions actuelles, mais la complexité des processus définis dans le projet de traité étant ce que nous venons de voir, nous resterons dans la même situation.

1.2.3    La répartition des compétences entre l’Union et les États membres

Il est essentiel de bien voir quelles sont, dans le projet de traité, les compétences de l’Union. Elles sont définies aux art. I-12 à I-17. On y distingue des compétences exclusives ; des compétences d’appui, de coordination ou de complément ; des compétences partagées.

Art. I-13, Les domaines de compétence exclusive :

1. « L’Union dispose d’une compétence exclusive dans les domaines suivants :

a    « l’union douanière ;

b    « l’établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur ;

c    « la politique monétaire des États membres dont la monnaie est l’euro ;

d    « la conservation des ressources biologiques de la mer dans le cadre de la politique commune de la pêche ;

e    « la politique commerciale commune.

2. L’Union dispose également d’une compétence exclusive pour la conclusion d’un accord international lorsque cette conclusion est prévue dans un acte législatif de l’Union, ou est nécessaire pour lui permettre d’exercer sa compétence interne, ou dans la mesure où elle est susceptible d’affecter des règles communes ou d’en altérer la portée.

Art. I-17, Le domaine des compétences d’appui, de coordination ou de complément :

L’Union dispose d’une compétence pour mener des actions d’appui, de coordination ou de complément. Les domaines de ces actions sont, dans leur finalité européenne :

a la protection et l’amélioration de la santé humaine ;

b l’industrie ;

c la culture ;

d le tourisme ;

e l’éducation, la jeunesse, le sport et la formation professionnelle ;

f la protection civile ;

g la coopération administrative. »

Les domaines de compétences partagées sont définis par différence, à l’article I-14 :

1. L’Union dispose d’une compétence partagée avec les États membres lorsque la Constitution lui attribue une compétence qui ne relève par des domaines visés aux articles I-13 et I-17.
2. Les compétences partagées entre l’Union et les États membres s’appliquent aux principaux domaines suivants :

a le marché intérieur ;

b la politique sociale, pour les aspects définis dans la partie III ;

c la cohésion économique, sociale et territoriale ;

d l’agriculture et la pêche, à l’exclusion de la conservation des ressources biologiques de la mer ;

e l’environnement ;

f  la protection des consommateurs ;

g les transports ;

h les réseaux transeuropéens ;

i l’énergie ;

j l’espace de liberté, de sécurité et de justice ;

k les enjeux communs de sécurité en matière de santé publique, pour les aspects définis dans la partie III.

3. Dans les domaines de la recherche, du développement technologique et de l’espace, l’Union dispose d’une compétence pour mener des actions, notamment pour définir et mettre en œuvre des programmes, sans que l’exercice de cette compétence ne puisse avoir pour effet d’empêcher les États membres d’exercer la leur.

Mais il faut préciser :

Lorsque la Constitution attribue à l’Union une compétence partagée avec les États membres dans un domaine déterminé, l’Union et les États membres peuvent légiférer et adopter des actes juridiquement contraignants dans ce domaine. Les États membres exercent leurs compétences dans la mesure où l’Union n’a pas exercé la sienne ou a décidé de cesser de l’exercer…[32]

1.2.4    Les services publics

On a dit que le projet de traité représentait un progrès, car il faisait désormais une place aux services publics. En fait, il parle un peu – trois fois, sauf erreur de ma part – de services économiques d’intérêt général (et non pas de services publics).

L’Union reconnaît et respecte l’accès aux services économiques d’intérêt général tel qu’il est prévu par les législations et pratiques nationales, conformément à la Constitution, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l’Union [33].

Dans la partie III, Les politiques et le fonctionnement de l’Union, ces services économiques d’intérêt général sont cités à l’article III-122 en dernière position d’une énumération de sept articles [34], juste après… « les exigences du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles [35] ».

Sans préjudice des articles I-5 ; III-166, III-167 et III-239, et eu égard à la place qu’occupent les services économiques d’intérêt général en tant que services auxquels tous dans l’Union attribuent une valeur ainsi qu’au rôle qu’ils jouent dans la promotion de sa cohésion sociale et territoriale, l’Union et les États membres, chacun dans la limite de leurs (sic) compétences respectives et dans les limites du champ d’application de la Constitution, veille à ce que ces services fonctionnent sur la base des principes et dans les conditions, notamment économiques et financières, qui leur permettent d’accomplir leurs missions. La loi européenne établit ces principes et fixes ces conditions, sans préjudice de la compétence qu’ont les États membres, dans le respect de la Constitution, de fournir, de faire exécuter et de financer des services ».

Enfin,

2. Les entreprises chargées de la gestion de services économiques d’intérêt général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux dispositions de la Constitution, notamment aux règles de la concurrence, dans la mesure où l’application de ces dispositions ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de l’Union [36].

Le terme de service public est employé à l’art. 238, uniquement à propos des transports, pour déclarer « compatibles à la Constitution les aides… qui correspondent au remboursement de certaines servitudes inhérentes à la notion de service public. » : voilà qui est bien limité….

1.2.5    La politique étrangère, de défense et de sécurité

En ce qui concerne les principes,

2. La politique de sécurité et de défense commune inclut la définition progressive d’une politique de défense commune de l’Union. Elle conduira à une défense commune, dès que le Conseil européen, statuant à l’unanimité, en aura décidé ainsi. Il recommande, dans ce cas, aux États membres d’adopter une décision dans ce sens conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.

La politique de l’Union au sens du présent article n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres, elle respecte les obligations découlant du traité de l’Atlantique Nord pour certains États membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre […]

7. […] Les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, qui reste, pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l’instance de mise en œuvre [37].

En ce qui concerne les processus de décision,

En matière de politique étrangère et de sécurité commune, le Conseil européen et le Conseil adoptent des décisions européennes à l’unanimité, sauf dans les cas visés à la partie III. Ils se prononcent sur l’initiative d’un État membre, sur proposition du ministre des affaires étrangères de l’Union ou sur proposition de ce ministre avec le soutien de la Commission. Les lois et les lois-cadres européennes sont exclues [38].

Les décisions européennes relatives à la politique de sécurité et de défense commune, y compris celles portant sur le lancement d’une mission visée au présent article, sont adoptées par le Conseil statuant à l’unanimité, sur proposition du ministre des affaires étrangères de l’Union ou sur initiative d’un État membre. Le ministre des affaires étrangères de l’Union peut proposer de recourir aux moyens nationaux ainsi qu’aux instruments de l’Union, le cas échéant conjointement avec la Commission [39].

1.2.6    Les coopérations renforcées

Elles sont définies par l’art. I-44 :

1. Les États membres qui souhaitent instaurer entre eux une coopération renforcée dans le cadre des compétences non-exclusives [40] de l’Union peuvent recourir aux institutions de celle-ci et exercer ces compétences en appliquant les dispositions appropriées de la Constitution, dans les limites et selon les modalités prévues au présent article, ainsi qu’aux articles III-416 à III-423.
  Les coopérations renforcées visent à favoriser la réalisation des objectifs de l’Union, à préserver ses intérêts et à renforcer son processus d’intégration. Elles sont ouvertes à tout moment à tous les États membres, conformément à la procédure prévue à l’article III-418.

2. La décision européenne autorisant une coopération renforcée est adoptée par le Conseil en dernier ressort, lorsqu’il établit que les objectifs recherchés par cette coopération ne peuvent être atteints dans un délai raisonnable par l’Union dans son ensemble, et à condition qu’au moins un tiers des États membres y participent. Le Conseil statue conformément à la procédure prévue à l’article III-419…

4. Les actes adoptés dans le cadre d’une coopération renforcée ne lient que les États membres participants. Ils ne sont pas considérés comme un acquis devant être accepté par les États candidats à l’adhésion à l’Union.

La procédure de décision sur l’instauration d’une coopération renforcée est tout aussi complexe que celles que nous avons vues plus haut, au § 1.2.2, et sera très difficile à mener à terme [41] :

1. Les États membres qui souhaitent instaurer entre eux une coopération renforcée dans l’un des domaines visés par la Constitution, à l’exception des domaines de compétence exclusive et de la politique étrangère et de sécurité commune, adressent une demande à la Commission en précisant le champ d’application et les objectifs poursuivis par la coopération renforcée envisagée. La Commission peut soumettre au Conseil une proposition en ce sens. Si la Commission ne soumet pas de proposition, elle en communique les raisons aux États membres concernés.

L’autorisation de procéder à une coopération renforcée est accordée par une décision européenne du Conseil, qui statue sur proposition de la Commission et après approbation du Parlement européen.

2. La demande des États membres qui souhaitent instaurer entre eux une coopération renforcée dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune est adressée au Conseil. Elle est transmise au ministre des affaires étrangères de l’Union, qui donne un avis sur la cohérence de la coopération renforcée envisagée avec la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union, ainsi qu’à la Commission, qui donne son avis, notamment sur la cohérence de la coopération renforcée envisagée avec les autres politiques de l’Union. Elle est également transmise au Parlement européen pour information.

L’autorisation de procéder à une coopération renforcée est accordée par une décision européenne du Conseil, statuant à l’unanimité.

On voit en particulier que, sauf en matière de politique étrangère et de sécurité commune, la Commission a un droit de bloquer toute initiative sans recours possible. En matière de politique étrangère et de sécurité commune, le Conseil statue à l’unanimité et le Parlement européen est simplement informé.

1.2.7      Les possibilités de révision du traité

Elles sont définies par l’article IV-443 [42] :

1 Le gouvernement de tout État membre, le Parlement européen ou la Commission peut soumettre au Conseil des projets tendant à la révision du présent traité. Ces projets sont transmis par le Conseil au Conseil européen et notifiés aux parlements nationaux.
2. Si le Conseil européen, après consultation du Parlement européen et de la Commission, adopte à la majorité simple une décision favorable à l’examen des modifications proposées, le président du Conseil européen convoque une Convention composée de représentants des parlements nationaux, des chefs d’État ou de gouvernement des États membres, du Parlement européen et de la Commission. La Banque centrale européenne est également consultée dans le cas de modifications institutionnelles dans le domaine monétaire. La Convention examine les projets de révision et adopte par consensus une recommandation à une Conférence des représentants des gouvernements des États membres telle que prévue au paragraphe 3.

Le Conseil européen peut décider à la majorité simple, après approbation du Parlement européen, de ne pas convoquer de Convention lorsque l’ampleur des modifications ne le justifie pas. Dans ce dernier cas, le Conseil européen établit le mandat pour une Conférence des représentants des gouvernements des États membres.

3 Une Conférence des représentants des gouvernements des États membres est convoquée par le président du Conseil en vue d’arrêter d’un commun accord les modifications à apporter au présent traité.

Les modifications entrent en vigueur après avoir été ratifiées par tous les États membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.

4 Si à l’issue d’un délai de deux ans à compter de la signature du traité modifiant le présent traité, les quatre cinquièmes des États membres ont ratifié ledit traité et qu’un ou plusieurs États membres ont rencontré des difficultés pour procéder à ladite ratification, le Conseil européen se saisit de la question[43].

Est-il sérieux d’affirmer que, contrairement à ce qu’annonce V. Giscard d’Estaing qui se réjouit que la Constitution soit là pour 40 ans, des révisions seront possibles ?

2      Quel fonctionnement dans le cadre du projet de traité ?

L’un des principaux arguments avancés par les partisans du Oui est que ce projet de traité comporte de nombreuses avancées par rapport aux traités antérieurs.

Nous avons vu dans ce qui précède combien ce texte était peu satisfaisant. Faute de consensus sur les sujets délicats, un poids extrêmement fort restera de fait à la Commission. En l’absence de décision, il ne restera que le pouvoir de cette Commission, qui définira par défaut la politique de l’Europe. Le dernier mot restera à la technocratie : les pouvoirs de fait de la Commission sont et seront bien supérieurs à ceux qui sont définis dans le projet de traité (cf. supra, au début du § 1.2.2).

À ce titre, l’exemple du projet de directive Bolkestein est très illustratif de ce fonctionnement, qui ne serait en rien remis en cause dans une Europe à 25 qui aurait adopté le projet de traité : la Commission a dans un premier temps produit un projet (avec l’accord tacite et parfois explicite de différents états et partis, dont le PS et la France), et il a fallu le contexte de la ratification du projet de traité et de la montée du Non en France pour que des contre-pouvoirs plus démocratiques que la Commission, comme le Parlement européen, des pouvoirs exécutifs comme J. Chirac ou de partis politiques comme le PS se retournent contre ce qu’ils avaient adoré ou toléré. En fait, le contrôle démocratique ne fonctionne dans le cadre institutionnel actuel et ne fonctionnerait dans le cadre défini par le projet de traité que dans un contexte pré-électoral tendu…

Posons-nous simplement quelques questions, en essayant d’y apporter une réponse dans le cadre d’une Union à 25 qui aurait adopté le projet.

  • Quelle politique européenne aurait été possible pour faire front à la décision américaine d’attaquer l’Irak ?
  • Plus généralement, quelle politique étrangère sera envisageable ?
  • Qui croit réellement que le traité permettra une harmonisation des politiques économiques ?
  • Qui peut affirmer honnêtement qu’il permettra de sauvegarder un service public digne de ce nom ?
  • Quelle politique de progrès social sera possible dans ce contexte ?

En un mot, qui peut penser qu’il y aura un quelconque consensus sur autre chose que le cheminement, sous l’égide de la technocratie de la Commission, vers un grand marché intérieur à 25, seul objectif non soumis à la recherche d’un hypothétique consensus ?

3      Il faut voter Non

Mais même si on admettait que les avancées de ce projet étaient significatives, au moins sur le plan formel, il resterait à prendre en compte un fait majeur, qui devrait être une évidence : ce projet de traité, s’il était ratifié par les 25 États membres, serait mis en œuvre… dans le cadre d’une Union à 25 et non pas dans le cadre de l’Union à 15 que nous connaissons. Les Européens ont été placés devant le fait accompli par un élargissement sans réflexion préalable sur les systèmes de décision, sur les coopérations renforcées etc. Ou plutôt, la classe politique, partis socialistes au pouvoir inclus, n’a-t-elle pas délibérément et systématiquement verrouillé toute ambition autre que l’accroissement du marché unique ? M. Rocard dit d’ailleurs qu’il a perdu tout espoir d’une Europe politique dès le moment de l’admission de la Grande Bretagne.

Le raisonnement que les partisans du Oui cherchent à nous imposer, en ridiculisant toute autre pensée que leur pensée unique, est en effet vicié :

  1. Nous avons accepté l’élargissement à 25 sans revoir préalablement les processus de décision.
  2. Le cadre institutionnel actuel est ainsi devenu inapplicable.
  3. Il va donc de soi que n’importe quelle évolution qui constitue un progrès même minime par rapport à la nouvelle situation, très fortement dégradée, et même si c’est une grave régression par rapport à la situation antérieure de l’Europe à 15, est bonne.

J’ai voté Oui, sans aucun enthousiasme, au référendum sur le traité de Maastricht. Nous n’avons pas été consultés sur l’élargissement, nous allons être consultés sur un projet de traité constitutionnel après l’élargissement. Le débat aurait eu un sens avant cet élargissement, s’il avait renforcé un fonctionnement institutionnel permettant, outre le fonctionnement du marché intérieur, le développement d’une vraie action européenne en matière de politique économique, de politique fiscale, de politique sociale, de politique étrangère. Je refuse de me voir forcer la main, tous les 10 ans, sous le prétexte que la proposition constitue un moindre mal, et de n’avoir aucune prise sur quoi que ce soit le reste du temps. Je ne veux plus valider a posteriori une politique de droite.

En ce qui concerne les conséquences d’un Non français, je préfère que nous restions dans le cadre des traités précédents plutôt que de donner une apparence d’acceptation démocratique à ce projet de traité.

Il est tout d’abord très vraisemblable que d’autres pays que la France refuseront la ratification. Il faudra ensuite négocier des améliorations dans différentes directions :

  • une politique économique plus active avec des grands projets à effet keynésien : une distribution de revenus par l’investissement productif plutôt que le maintien d’effectifs publics sans contrôle de leur productivité ;
  • une politique sociale coordonnée ;
  • une vraie place pour le service public ;
  • une politique étrangère active…

Tout cela passe par la possibilité de développer de réelles coopérations renforcées, qui n’existe pratiquement pas dans le projet de traité : il faut un « premier cercle » et un ou plusieurs cercles plus larges. C’est à cette condition que l’élargissement peut aboutir dans des conditions satisfaisantes.

À nos partis et à nos gouvernements d’assumer désormais leur rôle de proposition.

Donc, dans ces conditions :

  • Oui à l’Europe ;
  • Oui à l’élargissement à 25 à condition qu’il ne dilue pas nos atouts et permette de développer un noyau fort ;
  • Oui à l’intégration de la Turquie ; je crois profondément qu’il faut l’intégrer ; cela ne pourra se faire que lentement, mais quel symbole et quel exemple pour les relations avec le monde musulman ce serait d’accueillir une nation de culture profondément musulmane qui est laïque depuis 80 ans et qui se modernise à marche forcée, même si c’est parfois dans la douleur ;
  • et pour tout cela, Non au projet de TCE.

© Serge Ruscram, février 2005
Utilisation possible, sous réserve de mentionner l’auteur et l’URL du blog.


[1] La boîte à outils du traité de Lisbonne, par Valéry Giscard d’Estaing, article paru dans Le Monde du 26-10-2007, cité par Wikipédia.

[2] Art. I-3, point 2.

[3] Ici comme dans la suite, c’est moi qui souligne.

[4] Art. III-177

[5] Art. III-178.

[6] Art. III-185

[7] En fait, il semble que des détours jurisprudentiels permettent de réintroduire cette compatibilité. Reste que cela est pour le moins ambigu.

[8] Art. II-74

[9] Art. II-82

[10] Art. II-75

[11] Art. II-88.

[12] Art. II-89.

[13] Art. II-93.

[14] Art. II-101.

[15] Art. II-85.

[16] Art. II-86.

[17] Art. II-94.

[18] Art. II-96.

[19] Art. II-72.

[20] Art. II-75.

[21] Art. II-81.

[22] Cf. Titre IV, Les institutions et organes de l’Union, en particulier art. 20 à 29.

[23] Ici comme dans la suite, c’est moi qui souligne.

[24] Art. I-26, point 1.

[25] Art. I-33-1.

[26] Art. I-20, point 1.

[27] Art. I-23, point 1.

[28] Rappelons que l’assemblée nationale conserve dans ce cas la possibilité, en votant la motion de censure, de s’opposer au texte voulu par le gouvernement, et a donc le dernier mot… si elle le souhaite.

[29] Art. I-21-4.

[30] Art. I-27.

[31] Art. III-179.

[32] Art. I-12-2.

[33] Art. II-96.

[34] Art. III-116 à III-122.

[35] Art. III-121.

[36] Art. III-166.

[37] Art. I-41.

[38] Art. I-40-6.

[39] Art. I-41-4.

[40] Voir ci-dessus, au § 1.2.3, quelles sont ces compétences.

[41] Art. III-419.

[42] Les art. IV-444 et IV-445 définissent des procédures allégées pour une révision sur des sujets limités. La faisabilité de la mise en œuvre de ces procédures reste tout autant à démontrer.

[43] Nous avons ici un parfait exemple de procédure dont la fin n’est pas définie, au moins dans le cas où elle aboutit à un blocage : c’est justement ce qui devrait être le plus précis.

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