À quand un plan pour trier les journalistes ?

À propos d’un article du Journal du dimanche

Photos : jungle de Calais, gare de triage de Kornwestheim, Albert Londres
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Le Journal du dimanche du 06-08-2017 titre [1] en une :

« Le plan de la France pour trier les migrants »

Il s’agit de l’annonce d’une interview [2] de Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur du gouvernement Philippe, par trois journalistes que je préfèrerais ne pas nommer – l’accusation de délation me menace, et « rigoureusement ma mère m’a défendu de [les] nommer ici » – mais mon devoir d’informer l’emporte : il s’agit Stéphane Joahny, Christine Ollivier et David Revault d’Allonnes.

Ce superbe titre m’a donné une idée : je vais élaborer un

Plan pour trier les journalistes,

que je soumettrai à Françoise Nyssen, ministre de la culture du même gouvernement. J’espère que cela m’ouvrira, à moi aussi, la une du JdD. Votre participation à cette élaboration est fortement souhaitée.

Les principales orientations de ce plan sont les suivantes.

  1. Il est vital de distinguer les journalistes politiques des journalistes économiques.

L’identification des premiers est simple. Ils sont soumis, de par le milieu qu’ils fréquentent, à des atteintes permanentes à leurs droits humains les plus élémentaires (harcèlement sexuel, pressions, mensonges éhontés…) : c’est, vous l’avouerez, inadmissible. Pour les seconds, l’identification est plus difficile : ils s’estiment, on ne sait pourquoi, victimes d’inégalités de traitement (au sens de salaire) et de frais de déplacement, ce qui est, vous l’avouerez aussi, beaucoup plus supportable. C’est pour cela qu’ils axent leurs articles sur les conditions économiques.

Les deux groupes n’ont donc qu’une idée en tête – ils ne sont jamais contents – : quitter leur journal, leurs chaînes (sans jeu de mots) ou leur média, pour migrer vers un autre journal, d’autres chaînes, un autre média où la liberté de parole est totale, l’herbe plus verte, le soleil plus doux, la table mieux garnie.

Bien entendu, la Déclaration universelle des droits de l’homme-journaliste leur reconnaît le droit de le faire. Mais même si, pour d’évidentes raisons morales, ils doivent faire un effort, les bons médias ne peuvent accueillir toute la misère journalistique du monde. Un flux incontrôlable de journalistes migrants déferle donc sur le monde des médias, avec les conséquences désastreuses que vous imaginez.

En anglais, une chaîne radio ou télé s’appelle channel : vous frémissez surement devant toutes les souffrances que vivent ces hordes de journalistes sur la rive de ces channels, on dirait des Moïses arrêtés devant le frontière de la Terre promise. Et ils vivent dans des conditions inhumaines, souvent dans la rue, sous le viaduc du métro ou du périphérique, ou parfois, quand ils ont beaucoup de chance, dans des camps de regroupement où ils sont privés d’eau.

Devant tant de misère humaine, que peut-on faire ?

  1. Eh bien, la première urgence est évidemment de définir une procédure de tri des journalistes.

On doit définir une règle claire et mettre en place des structures administratives permettant de séparer le bon grain –les journalistes politiques – de l’ivraie – la plèbe des autres, qu’on peut sans risque de se tromper rassembler dans la catégorie des journalistes économiques.

Les journalistes politiques recevront une carte ad’hoc qui leur permettra de postuler dans les médias de leur choix. Pour revenir aux trois journalistes dont les qualités d’interviewer et de choix de titres m’ont conduit à écrire cet article, le fait d’être capable de disserter sur un Plan pour trier les migrants leur donne bien entendu de grandes chances d’obtenir cette carte.

Les journalistes migrants qui ne l’obtiendront pas seront rejetés dans la catégorie des journalistes économiques et reconduits dans leur ancien média.

Deux problèmes subsistent :

  • le 1e est celui des délais nécessaires pour traiter l’ensemble des dossiers. Les dures conditions budgétaires actuelles, que le ministre de l’économie du quinquennat précédent ne pouvait prévoir, et l’exemple des procédures analogues déjà mises en œuvre permettent de considérer comme raisonnable un délai d’environ deux ans entre le dépôt d’un dossier et la réponse de l’administration ;
  • le 2e est le mode de reconduite du journaliste débouté dans son média d’origine ; sur ce point, et compte tenu de l’extrême générosité que traduira ce plan, il faut envisager la plus grande rigueur dans l’exécution, faute de quoi il y aurait appel d’air et nous serions sous la menace d’un tsunami de journalistes migrants.

Les journalistes ayant déposé un dossier et restant en attente de réponse n’auront évidemment pas le droit de travailler. Ils seront stockés dans les camps de regroupement évoqués plus haut, si des places sont disponibles, sinon ils seront autorisés à devenir SDF.

L’exigence morale de les traiter humainement est évidente. Elle sera satisfaite par une délégation de service public à des ONG qui auront fait l’objet d’une certification Qualité ISO 9000 pour les procédures de traitement des journalistes. Ces ONG seront en particulier chargées de les abreuver et de les laver.

Je lance donc :

  1. un appel à toutes les bonnes volontés pour m’aider à affiner ce plan ;
  1. une opération de financement participatif – pardon, de crowdfounding – pour financer sa rédaction et le début de sa mise en œuvre.

Bien entendu, le JdD, compte tenu de son expérience dans le tri des migrants, et Marie Sara, compte tenu de son expérience dans le tri des toros avant les corridas, seront les premiers partenaires sollicités dans cette opération.

© Serge Ruscram, 09-08-2017
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[1] https://www.relay.com/le-journal-du-dimanche/le-plan-de-la-france-pour-trier-les-migrants-numero-3682-quotidiens-559564-14.html, consulté le 09-08-17 à 15 h 09.

[2] Le texte est consultable, le 09-08-2017 à 15 h 14, à l’adresse http://www.lejdd.fr/politique/gerard-collomb-sur-les-migrants-de-calais-il-faut-eviter-les-infrastructures-fixes-3404516

De la laïcité dans les valeurs de la République

Une valeur de paix qui deviendrait conflictuelle ?

© Serge Ruscram, 23-12-201
© Richard Murray sur Wikepédia (photo du kilt)
© Serge Ruscram pour les autres photos (Sahel malien et nigérien, 1977)
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1      Laïcité : que de conflits sémantiques en ton nom !

  • Est-il interdit d’ajouter une épithète au substantif laïcité, ou est-ce nécessaire, comme l’a dit Nicolas Sarkozy, qui souhaitait une laïcité positive[1] ?
  • La laïcité se définit-elle par la loi de 1905, ni plus ni moins, supposée parfaite, ou faut-il la faire évoluer pour qu’elle s’adapte aux évolutions de la société ?
  • La laïcité est-elle unique, et faut-il pour cette raison critiquer Jean Baubérot qui propose une typologie de la laïcité dans son livre Les sept laïcités françaises[2] ?
  • Les mots laïcisme et islamophobie ont-ils un sens ?

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Il ne faut pas désespérer la France périphérique…

… maintenant que Billancourt n’existe plus

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Le titre de cet article est inspiré par une phrase qu’aurait dite Jean-Paul Sartre en 1968 : « Il ne faut pas désespérer Billancourt ». L’usine Renault de Billancourt était alors une citadelle ouvrière. En réalité, il semble que cette phrase provienne du collage de deux répliques de Nekrassov, une pièce peu connue de Jean-Paul Sartre, créée en 1955 : « Il ne faut pas désespérer les pauvres » et « Désespérons Billancourt ». Aujourd’hui, Billancourt n’existe plus, en tout cas en tant que bastion syndical, et, avec la désindustrialisation, le néo-libéralisme et leur impact sur le développement de l’individualisme, la classe ouvrière a volé en éclats. Mais la recherche sociologique et économique récente met en évidence l’émergence d’une France périphérique, probablement majoritaire dans la population et en croissance, qui ne bénéficie pas des avantages de la mondialisation et continue à se marginaliser.

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Le PS voulait perdre son électorat : il a réussi

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Rappelons-nous l’essai de Terra nova paru en mai 2012, avant la dernière présidentielle, intitulé Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ? [1]. Terra nova est un think tank proche du PS, et plus précisément de l’aile droite du PS, celle qui s’est longtemps incarnée dans DSK, et dont la doctrine paraît avoir pris le pouvoir dans l’exécutif issu des élections de 2012, que je qualifie de social-libéral même s’il s’affirme social-démocrate. On pouvait y lire :

Si la coalition historique de la gauche est en déclin, une nouvelle coalition émerge. Sa sociologie est très différente :

  1. Les diplômés. […]
  2. Les jeunes. […]
  3. Les minorités et les quartiers populaires [mais la suite parle plus de la diversité que des « quartiers populaires » dans leur ensemble…].
  4. Les femmes […].

[…] Contrairement à l’électorat historique de la gauche, coalisé par les enjeux socioéconomiques [2] cette France de demain est avant tout unifiée par ses valeurs culturelles, progressistes

Donc, la stratégie prônée en 2012 par Terra nova repose sur l’idée que la gauche doit désormais s’intéresser prioritairement aux valeurs culturelles, et que les enjeux socio-économiques sont dépassés. Le chômage, le temps partiel contraint, les travailleurs pauvres, les SDF, tout cela n’a désormais plus autant d’intérêt. Seuls les « coalisés » de la gauche « historique » (je soupçonne un peu de mépris dans ces termes, mais sans doute ai-je l’esprit mal tourné) s’y intéressent encore.

Terra nova a quand même la clairvoyance d’identifier quelques risques :

La nouvelle coalition électorale de la gauche présente trois faiblesses structurelles :

  1. Une dynamique démographique limitée. […]
  2. Une coalition électorale en construction. […]
  3. Une abstention élevée. […]

Quelle appréciation peut-on porter sur cette analyse ? Si on souhaite introduire un peu de vraie rationalité dans les sciences politiques, il faut revenir à la caractéristique majeure de la démarche scientifique : on construit une théorie, on fait une prévision et on vérifie la qualité de la théorie par la qualité des prévisions qu’elle fonde. Or les résultats des municipales 2014 montrent que la thèse de Terra nova n’est correcte que sur les faiblesses identifiées :

  • L’abstention s’avère un risque majeur.
  • Quant à la diversité… On se reportera par exemple à l’intéressant livre Passion française. Les voix des cités [3] qui vient de sortir. G. Kepel s’y est intéressé aux candidats aux législatives de 2012 qui étaient « issus de la diversité ». Il a constaté que les électeurs de la diversité, qui ont longtemps voté majoritairement à gauche, en particulier depuis les émeutes de 2005, sont de plus en plus désabusés devant les promesses non tenues des politiques de droite comme de gauche sur la baisse du chômage, l’amélioration des conditions de vie dans les quartiers, etc. Les critères de choix pour leur vote sont de plus en plus orientés vers des revendications de type corporatiste, souvent communautaristes, parfois religieuses, voire intégristes. Ils se tournent vers le candidat qui se déclare prêt à défendre ces revendications, indépendamment de son orientation politique, et votent désormais, selon les caractéristiques et le clientélisme des candidats locaux, aussi bien pour l’extrême droite, la droite ou le centre que pour la gauche de gouvernement ou l’extrême gauche.

Cette thèse, solidement argumentée, est dans le droit fil d’une conviction que G. Kepel avait par exemple déjà exprimée dans Quatre-vingt-treize [4] (voir la note de lecture sur ce blog), livre dans lequel il écrit que le défi majeur de la société française est « la désintégration de la société française – à laquelle ne peut répondre qu’une politique résolue d’intégration (p. 257) ».

Cette coalition souhaitée par Terra nova, et qui constitue manifestement la cible marketing de l’actuel exécutif, n’est donc pas une « nouvelle coalition [qui] émerge », mais plutôt un fantasme en train de tourner au cauchemar. Et on peut craindre que ce cauchemar dure jusqu’aux européennes et bien au-delà.

Être de gauche consiste pourtant à s’occuper d’abord de la situation socioéconomique, en commençant par celle des moins favorisés. Le contexte de la crise économique du modèle occidental ne simplifie pas la tâche, mais il existe de nombreuses pistes réellement de gauche, qu’elles traitent de l’économie, de la fiscalité (voir sur ce blog la note de lecture sur le livre de Thomas Piketty Le capital au XXIe siècle), de l’écologie, de la réorientation de l’Europe… Quand donc la majorité « social-démocrate » actuelle (re)deviendra-t-elle socialiste ?

© Serge Ruscram, 13-04-2014
Utilisation possible, sous réserve de mentionner l’auteur et l’URL du blog.


[1] Auteurs : Bruno Jeanbart, Olivier Ferrand, Romain Prudent.

[2] C’est moi qui souligne.

[3] Gilles Kepel, Gallimard, Témoins, 03-04-2014.

[4] Gilles Kepel, Quatre-vingt-treize, Gallimard, 2012.

Laïcité, égalité pour les femmes, révolutions arabes…

Un très intéressant colloque s’est déroulé le 23-01-2014 au Sénat, sur le sujet suivant :

La laïcité, un enjeu d’égalité pour les femmes, à la lumière des révolutions du monde arabe

Il était organisé par Françoise Laborde, sénatrice PRG de la Haute-Garonne, en partenariat avec l’association Égale (Égalité, Laïcité, Europe) et l’AFEM (association pour les femmes de l’Europe méridionale).

Le programme complet est fourni plus bas. L’ensemble des interventions est accessible en audio sur le site d’Égale.

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Le premier aspect intéressant de ce colloque est qu’il a donné la parole à des laïques, et surtout à des femmes laïques, du Sud et de l’Est du bassin méditerranéen, issu(e)s du Maroc, d’Algérie, de Tunisie, d’Égypte, du Liban, d’origines culturelles et de convictions spirituelles diverses… Ce sont des voix à qui les médias donnent bien peu de place, alors qu’elles existent plus que, de ce fait, on ne l’imagine souvent : raison de plus pour les écouter et diffuser leur parole.

Le deuxième aspect intéressant, et essentiel, est qu’à travers cette diversité d’opinions, par exemple sur l’appréciation de la toute récente constitution tunisienne, une grande unanimité se fait sur le fait que la liberté de conscience et la libération de la femme passent obligatoirement par la séparation de l’État et des religions, quelles qu’elles soient.

Si vous prenez le temps d’écouter toutes les interventions, vous aurez un vaste panorama de la situation des femmes, et de ce que la laïcité apporterait, dans le Sud et l’Est du bassin méditerranéen (avec les interventions du matin) et en Europe (avec celles de l’après-midi).

Si vous voulez faire une sélection, je vous indique ce qui m’a paru le plus original et m’a appris le plus de choses :

  • dans la 1e table ronde, la juxtaposition des interventions de Jean Maher (enregistrement audible à partir de l’index 300 seulement) et de Nadia El Fani donne deux interprétations divergentes, l’une optimiste et l’autre beaucoup moins, de l’état de la révolution tunisienne et de la récente constitution ;
  • dans la 2e table ronde, l’intervention de Soad Baba Aïssa donne des informations sur la situation des femmes en Algérie, pays dont on parle trop peu depuis le déclenchement des révolutions arables ; elle souligne que le danger et la vigueur des intégrismes des religions autres que l’islam ne doivent pas être oubliés, et rappelle opportunément que les institutions françaises respectent trop souvent insuffisamment la laïcité, avec des conséquences graves : risques de développer le communautarisme, risques de ce qu’on appelle souvent abusivement les « aménagements raisonnables »… ;
  • toujours dans la 2e table ronde, Zineb El Rhazoui décrit la situation des femmes au Maroc, ce qui conduit à fortement relativiser l’image modérée du royaume chérifien souvent donnée par les médias ;
  • dans la 4e table ronde, Moussa Allem donne une vision de l’action pour l’égalité fondée sur sa pratique du travail sur le terrain en France, qui diverge des positions habituelles dans le monde laïque : pour lui, par exemple, militer contre le port du voile n’est pas un objectif prioritaire, il vaut mieux s’attacher à réunir les conditions pour que les femmes musulmanes participent davantage à la vie de la cité et aux activités sociales ;
  • enfin, la conclusion des travaux, présentée par Gérard Delfau, montre bien l’originalité de ce colloque.

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Programme complet

9 h 30 :  mot de bienvenue par Françoise Laborde, sénatrice

9 h 45 :  allocution d’ouverture, par Fatima Lalem, adjointe au maire de Paris chargée de l’égalité femme/homme

10 h 15 :  introduction au débat, par Jean-Claude Boual, secrétaire général adjoint d’Égale

Matin : les enjeux dans le monde arabe et la région méditerranéenne

10 h 30 :  première table ronde, Les révolutions pour les droits universels

Modératrice : Nelly Jazra-Bandarra, vice-présidente de l’AFEM

Participants :

  • Saïda Douki-Dedieu, psychiatre
  • Jean Maher, président de l’union égyptienne des droits humains, représentant des Coptes en France
  • Nadia El Fani, cinéaste, auteure du film Laïcité Inch Allah, lauréate du prix de la laïcité 2011

11 h 30 :  deuxième table ronde, Les revendications des droits universels dans la région

Modératrice : Laure Caille, déléguée à l’égalité femmes / hommes au sein d’Égale

Participantes :

  • Zineb El Rhazoui, journaliste et co-fondatrice du mouvement alternatif pour les libertés Individuelles (MALI), Maroc
  • Rose-Marie Massad-Chahine, professeure à la faculté des lettres et des sciences humaines de l’Université libanaise, Liban
  • Nathalie Pilhes, secrétaire générale à la délégation interministérielle à la Méditerranée, France
  • Soad Baba Aïssa, présidente de l’association pour la mixité, l’égalité, et la laïcité (AMEL), Algérie

Après-midi : les enjeux en Europe et en France

14 h 30 :  introduction au débat par Catherine Sophie Dimitroulias, vice-présidente de la conférence des organisations internationales non-gouvernementales du conseil de l’Europe, vice-présidente de l’AFEM

14 h 45 :  troisième table ronde, La laïcité et l’égalité en Europe

Modératrice : Teresa Boccia, professeure à l’Université Federico II de Naples, experte auprès de l’ONU, présidente de l’AFEM

Participantes :

  • Véronique de Keyser, députée européenne, Belgique
  • Ingvill Thorson Plesner, conseillère principale au centre pour les droits de l’homme, Norvège
  • Carmen Romero López, députée européenne, Espagne

15 h 45 :  quatrième table ronde, Les chantiers de l’égalité et de la laïcité en France

Modératrice : Martine Cerf, secrétaire générale d’Égale

Participants :

  • Françoise Brié, membre du haut conseil de l’égalité, vice-présidente de la fédération nationale solidarité femmes (FNSF), France
  • Moussa Allem, chargé de mission à la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) de la région Nord-Pas de Calais
  • Caroline Eliacheff, pédopsychiatre, auteure de Comment le voile est tombé sur la crèche
  • Jean-Paul Delahaye, directeur général à la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO), France

17 h 00 :  synthèse des travaux et conclusion, Gérard Delfau, ancien sénateur, président d’Égale

© Serge Ruscram, 04-02-2014
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Quels sont vos intégristes favoris ?

Mosquée chiite, Damas
© Serge Ruscram, 2010

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Préférez-vous les intégristes chiites, sunnites, catholiques, évangéliques, juifs ?
Vous avez le droit de choisir, comme tout le monde !

La conférence Genève II réunit, sous l’égide des Nations-Unies, le gouvernement syrien, des représentants de l’opposition syrienne, l’Arabie saoudite, etc… mais pas l’Iran.

Rappelons les alliances :

  • le pouvoir syrien, alaouite (les alaouites sont des chiites), est soutenu en particulier par l’Iran et le Hezbollah libanais, eux aussi chiites, qui lui fournissent des armes et des combattants ;
  • l’opposition syrienne est hétérogène ; elle inclut une tendance nationaliste et démocratique, qui est à l’origine du printemps arabe syrien, avec en particulier l’armée syrienne libre (ASL), où des militaires syriens qui ont déserté jouent un rôle important, et une tendance musulmane intégriste sunnite, avec des composantes djihadiste et salafiste, qui a progressivement pris le pas sur l’ASL ; tout ou partie de ces factions intégristes sont soutenues par des États sunnites, en particulier l’Arabie saoudite et le Qatar, qui, eux aussi, fournissent des armes et des combattants.

Rappelons que ces deux derniers États soutiennent aussi, et souvent arment des intégristes musulmans sunnites dans les pays qui ont vu le printemps arabe, en particulier les Frères musulmans, qui, de la Tunisie à l’Égypte, s’opposent aux couches sociales à composantes démocrates et laïques fortes qui ont chassé les dictateurs. Et l’Occident, lui, a préféré ne pas armer l’ASL syrienne, de peur que des armes ne passent aux mains d’intégristes.

On est donc dans une situation où le croissant chiite [1] aide le pouvoir syrien, et où les États sunnites du Golfe aident l’opposition intégriste. Et on invite l’Arabie saoudite à Genève II mais on exclut l’Iran. Et on le fait à un moment où l’élection le 14 juin 2013 d’Hassan Rouhani, le nouveau président iranien, considéré comme « conservateur modéré soutenu par les réformateurs [2] », paraît se traduire par un assouplissement, relatif mais réel, des positions de l’Iran sur la scène internationale, ne serait-ce que par la relance des négociations sur le nucléaire. Il est intéressant de rappeler ce que disent Yousef Courbage et Emmanuel Todd au sujet de l’Iran, dans Le rendez-vous des civilisations [3] (voir la note de lecture sur ce blog) :

Lorsqu’on l’applique à l’ensemble du Moyen-Orient, l’approche démographique met immédiatement en évidence l’absurdité ou la mauvaise foi des choix géopolitiques occidentaux, et spécifiquement américains. Les démocraties occidentales, censées appuyer la modernité démocratique, refusent de voir que le pôle principal de développement dans la région est désormais l’Iran. L’indice de fécondité de la République islamique, proche de 2 enfants par femme, contraste, non seulement avec les indices de l’Afghanistan, du Pakistan et de l’Irak, mais aussi d’une façon beaucoup plus inattendue, avec celui de la Turquie, dont l’européanité est pourtant en discussion à Paris, Berlin et Bruxelles (p. 93).

Si l‘anxiété des États-Unis face aux ambitions nucléaires iraniennes apparaît exagérée et de mauvaise foi, la légèreté manifestée par la démocratie américaine dans la gestion de l’allié pakistanais, puissance nucléaire réelle, peut apparaître franchement irresponsable (p. 110).

Le choix de l’Occident et des Nations-Unies à Genève est donc de consulter l’intégrisme sunnite et d’exclure l’intégrisme chiite. Et je suis loin d’être sûr, par exemple, que je préfèrerais être une femme saoudienne plutôt qu’une femme iranienne. Imaginer une conférence de paix sur la Syrie en s’appuyant sur les sunnites et en excluant les chiites paraît pour le moins irréaliste [4]. Tout laisse à penser que ce que l’Occident recherche est plus une alliance géostratégique avec les États du Golfe que la paix en Syrie.

Va-t-on, avec le même « raisonnement », s’appuyer sur le Hamas, sunnite, et exclure le Hezbollah, chiite, dans l’analyse du conflit israélo-palestinien ?

Et que penser de la politique française, quand François Hollande, en visite officielle en Arabie saoudite les 29 et 30 décembre 2013, obtient « un cadeau indirect à Paris : l’octroi, par l’Arabie saoudite, à l’armée libanaise, d’une aide de 3 milliards de dollars (2,2 milliards d’euros), destinée à être convertie en achat de matériel français [5] » ? Le pétrole et les ventes d’armes n’ont pas d’odeur.

Ne faudrait-il pas une cuiller un peu plus longue pour souper avec les intégristes ?

© Serge Ruscram, 26-01-2014
Utilisation possible, sous réserve de mentionner l’auteur et l’URL du blog.


[1] On peut à grande maille définir ce croissant chiite comme constitué par l’Iran, l’Irak dont la majorité relative de la population et le gouvernement sont chiites, la Syrie dont les alaouites ne représentent qu’une faible minorité de la population mais dont le pouvoir est alaouite, le Hezbollah libanais.

[2] Source : Wikipédia.

[3] Seuil, La République des idées, 2007.

[4] On peut se reporter à ce sujet à l’émission de Stéphane Paoli 3d, le journal du 26-01-2014 sur France Inter, dont le sujet est « Syrie : la tectonique des plaques, et l’Usine de films amateurs », et en particulier à ce que dit Dominique David, directeur exécutif de l’Institut français des relations internationales (IFRI), rédacteur en chef de la revue Politique étrangère, au sujet de la non-participation de l’Iran à Genève II (écouter à 47 mn 00)

[5] Source : « En Arabie saoudite, François Hollande obtient une aide pour l’armée libanaise », Le Monde, 30-12-2013.

Brice, Nicolas, François… Et les autres ?

Photo : lac Þingvallavatn, Islande
© Serge Ruscram, 04-2013

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Brice Hortefeux, alors ministre de l’intérieur de Nicolas Sarkozy, a dit à propos d’Amine, militant UMP appelé « notre petit Arabe » par un autre militant : « Bon, tant mieux. Il en faut toujours un. Quand il y en a un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes… [1] » Lire la suite « Brice, Nicolas, François… Et les autres ? »

Laïcité : hijab, burqa et liberté de conscience

Photo : Bosra, Syrie, 04-2010
© Serge Ruscram

La loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics est très concise : elle précise seulement que « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ». Elle a été globalement bien acceptée, elle a clarifié un sujet sur lequel la réglementation et la jurisprudence étaient auparavant bien floues, et elle a mis fin à un dangereux processus de multiplication des contentieux et de radicalisation sur le sujet du voile à l’école, au lycée et au collège. Elle est donc, à mon avis, « globalement positive ». Lire la suite « Laïcité : hijab, burqa et liberté de conscience »

Lampedusa : quoi de neuf ?

Le 3 octobre, au moins 359 immigrants clandestins se sont noyés au large de Lampedusa. Le 11 octobre, au moins 33 nouvelles victimes, entre Malte et Lampedusa. Et, tout à coup, les médias en font des pages entières ; et les politiques gesticulent : il faut que l’Union européenne prenne d’urgence des décisions fortes, on ne peut laisser l’Italie gérer seule ces vagues d’immigration sauvage… Certains d’entre eux voient l’aspect humanitaire ; d’autres y voient un argument pour regretter le bon vieux temps où Kadhafi réprimait Lire la suite « Lampedusa : quoi de neuf ? »

Note de lecture : « Le monde moderne et la question juive », Edgar Morin

Le monde moderne et la question juive, Edgar Morin, Seuil. Non conforme, 10-2006

Ce livre a été écrit après la conclusion de l’affaire déclenchée par un article signé d’Edgar Morin, Samir Naïr et Danièle Sallenave et intitulé Israël-Palestine : le cancer, publié dans le Monde du 04.06.2002.

E. Morin est judéo-gentil [1] : cette appartenance, qu’il revendique, et toute l’histoire de son engagement devraient le mettre à l’abri de toute accusation d’antisémitisme. Néanmoins, France-Israël et Avocats sans frontières ont poursuivi ces auteurs pour « apologie du terrorisme et antisémitisme » ! Déboutés et condamnés en première instance, ils ont obtenu une condamnation pour diffamation raciale en appel, qui a finalement été cassée le 12 juillet 2006 avec une condamnation à une amende des entités qui avaient attaqué. Lire la suite « Note de lecture : « Le monde moderne et la question juive », Edgar Morin »