Il ne faut pas désespérer la France périphérique…

… maintenant que Billancourt n’existe plus

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Le titre de cet article est inspiré par une phrase qu’aurait dite Jean-Paul Sartre en 1968 : « Il ne faut pas désespérer Billancourt ». L’usine Renault de Billancourt était alors une citadelle ouvrière. En réalité, il semble que cette phrase provienne du collage de deux répliques de Nekrassov, une pièce peu connue de Jean-Paul Sartre, créée en 1955 : « Il ne faut pas désespérer les pauvres » et « Désespérons Billancourt ». Aujourd’hui, Billancourt n’existe plus, en tout cas en tant que bastion syndical, et, avec la désindustrialisation, le néo-libéralisme et leur impact sur le développement de l’individualisme, la classe ouvrière a volé en éclats. Mais la recherche sociologique et économique récente met en évidence l’émergence d’une France périphérique, probablement majoritaire dans la population et en croissance, qui ne bénéficie pas des avantages de la mondialisation et continue à se marginaliser.

Un phénomène qu’on appelle souvent, sans donner une définition précise du terme, populisme monte en puissance un peu partout dans les démocraties occidentales.

Parmi les dernières manifestations de cette évolution, on peut citer l’apparition d’un Donald Trump comme un candidat crédible à la présidence des États-Unis ; le quasi-succès (49,7 % des suffrages exprimés au 2nd tour) à la présidentielle autrichienne de 2016 de Norbert Hofer, soutenu par le Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ), présidentielle dont le 2nd tour a été invalidé et va être rejoué (peut-être Hofer gagnera-t-il cette fois) ; les orientations de l’actuel pouvoir en Hongrie ou en Pologne ; mais aussi, ne l’oublions pas, la poursuite de la montée du Front national, premier parti de France lors du 1e tour des élections régionales le 06-12-2015 [1]. Tout cela est – ou est décrit comme – un populisme de droite.

Mais il y a aussi d’autres tendances, que la doxa des médias place dans le même sac populiste, sans chercher à affiner l’analyse. Cela inclut par exemple :

  • la décision britannique, par le référendum du 23-06-2016, de sortir de l’Union européenne (UE) – le Brexit – ;
  • des tendances qui, si elles pouvaient, ce que je conteste, être qualifiées de populistes, mériteraient en tout cas qu’on les appelle populisme de gauche : Syriza, Podemos, sans doute les votes autrichiens en faveur d’Alexander Van der Bellen, le candidat indépendant mais soutenu par Les Verts qui a remporté la présidentielle contre Norbert Hofer…

Ce phénomène n’est pas nouveau :

  • après le vote Non au projet de traité constitutionnel européen (TCE) lors du référendum français du 29-05-2005, les médias, quasi-unanimes, avaient, comme la plupart des hommes politiques, violemment condamné les électeurs qui, à 54,67 % des suffrages exprimés, avaient voté Non. Ils avaient dénoncé une montée du populisme (voir par exemple, dans l’article « ‘‘L’imposture’’ Tsipras, ou l’abjection des commentateurs ?» de ce blog, un extrait d’assez abjects éditoriaux de Jean-Marie Colombani dans Le Monde et de Serge July dans Libération au lendemain de ce vote) ; notons que les Pays Bas avaient également exprimé, lors d’un référendum consultatif, leur rejet du TCE par 61,6 % des suffrages exprimés, et que l’Irlande a ensuite, dans un 1e temps, refusé la ratification du traité de Lisbonne, successeur et quasi-clone du TCE, par 53,2 % des suffrages exprimés, lors d’un référendum en 2008 ;
  • la montée du Front national en France date du début de la présidence de François Mitterrand, qui l’avait favorisée à des fins politiciennes…

Cette montée d’une opposition de droite comme de gauche au fonctionnement classique de la démocratie représentative, qui s’exprime par un refus de larges parties de l’électorat de continuer à jouer le même jeu avec les partis politiques classiques, de gouvernement, mérite mieux qu’un rejet méprisant dans la catégorie des populistes, forcément irresponsables. N’en déplaise à Manuel Valls, pour qui « expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser [2] », chercher à comprendre les origines et les causes d’un phénomène paraît au contraire nécessaire pour élaborer des réponses politiques intelligents et efficaces.

1      Ces citoyens français qui se retirent du système

Je vais lancer la réflexion en partant de l’étude de résultats des divers votes et élections concernant l’ensemble du territoire français.

L’objectif de cette étude est d’analyser les attitudes qui, sous une forme ou sous une autre, traduisent un rejet vis-à-vis du une fonctionnement classique de la démocratie représentative. Je me suis donc intéressé :

  • au taux d’abstention et aux votes blancs et nuls, que j’ai regroupés sous le terme suffrages non-exprimés [3],
  • et, pour les scrutins où ils sont identifiables, aux votes d’extrême droite.

Dans la suite, j’appelle la somme des suffrages non-exprimés et des votes d’extrême droite, rapportée au nombre d’inscrits, le taux des citoyens « hors système ».

Cette présentation repose sur l’hypothèse, assumée, que le vote d’extrême droite est de nature différente de celui pour les autres partis qui ne sont pas « de gouvernement », et exprime une opposition au fonctionnement politique classique. Cette hypothèse n’est pas nouvelle [4] ; elle est proche de celle que fait par exemple Christophe Guilluy, en particulier dans ses récents ouvrages : La France périphérique : comment on a sacrifié les classes populaires et Le Crépuscule de la France d’en haut[5].

Pour les élections à deux tours, je me suis limité à l’étude du 1e tour, pour lequel l’ensemble des choix est possible, l’ensemble du corps électoral est appelé à voter [6] et les choix portent plus clairement sur les orientations politiques ou partisanes des électeurs : « Au 1e tour, on choisit, au 2nd, on élimine ».

Le détail des résultats figure en annexe. Sont étudiés les élections cantonales, devenues départementales ; les élections régionales ; les élections législatives ; les élections européennes ; les élections présidentielles ; les référendums.

On constate que, à l’exception de l’élection présidentielle, pour laquelle le taux « hors système » était de seulement (si on peut dire) 36 % en 2012 (mais il a atteint 44,1 % en 2002), ce taux a été, pour toutes les dernières élections, d’au moins 50 % :

  • aux législatives 2012, le taux « hors système » était de 51,4 % (alors qu’il était de 30,9 % en 1981) ;
  • aux départementales 2015, le taux de seuls suffrages non-exprimés était de 50,0 % (alors qu’il était de 34,5 % aux cantonales 1986) ; pour ces élections, compte tenu de l’hétérogénéité de la composition des listes et de la difficulté d’identifier les votes d’extrême droite, cela n’aurait pas de sens de calculer un taux « hors système » ; si c’était possible, ce celui-ci serait donc nettement supérieur à 50 % ;
  • aux régionales 2015, le taux « hors système » était de 64,2 % (alors qu’il était de 32,7 % en 1986) ;
  • aux européennes 2014, le taux « hors système » était de 68,2 % (alors qu’il était de 43,2 % en 1979) ;
  • au référendum de 2000 sur le quinquennat, le taux « hors système » (qui, dans ce cas, n’inclut évidemment pas de votes pour l’extrême droite), était de 74,7 % (alors qu’il était de 20,3 % en 1958 pour la constitution de la Ve République) ; il faut cependant souligner que ce taux est meilleur pour les référendums portant sur un traité européen (il était de 32,7 % en 1992 pour le traité de Maastricht et de 32,4 % en 2005 pour le projet de traité constitutionnel européen – TCE –) et à un moindre degré pour celui sur l’élargissement de l’Union européenne en 1972, où il était quand même de 46,8 % ; il semble que les référendums concernant l’Europe motivent davantage l’électorat, mais, étrangement, cela ne se traduit pas dans les taux pour les élections européennes, où le taux « hors système » est le plus élevé de toutes les élections.

Remarquons en outre que ces chiffres ne tiennent pas compte des non-inscrits sur les listes électorales ; le faire aggraverait encore le taux de « hors système ». Une estimation du taux de non-inscription sur les listes est de 7 % de la population concernée [7]. Dans cette hypothèse,

  • un taux de 50 % de « hors système » par rapport au nombre d’inscrits équivaut à 53,5 % par rapport au nombre d’électeurs potentiels
  • un taux de 74,7 % de « hors système » par rapport au nombre d’inscrits (cas du référendum de 2000 sur le quinquennat) équivaut à 76,5 % par rapport au nombre d’électeurs potentiels.

À l’exception du dernier référendum, sur l’adoption du TCE, et de la dernière présidentielle, pour lesquels les taux « hors système » par rapport aux électeurs potentiels étaient quand même respectivement de 37,1 et 40,5 %, pour toutes les dernières élections passées en revue ce taux était compris entre 53,3 et 70,4 %, et il a atteint 76,5 % à l’avant-dernier référendum (sur le quinquennat, en 2005).

On peut retenir les conclusions suivantes.

  • Il y a, depuis le début de la Ve République, une tendance nette à l’augmentation du taux de votes d’extrême droite, et une tendance très forte à l’augmentation du taux de suffrages non-exprimés, donc du taux des citoyens «  hors système ».
  • Pour les dernières élections, sauf à la présidentielle où le vote extrême droite était proche des deux tiers des suffrages non exprimés, il en représente entre 17,4 et 26,3 % : on parle beaucoup du vote d’extrême droite, mais beaucoup moins des suffrages non exprimés, bien qu’ils soient beaucoup plus importants en nombre, et en forte croissance. Pourtant, cela me paraît aussi grave, et mériterait qu’on y réfléchisse sérieusement.
  • Ces taux atteignent désormais souvent des niveaux qui conduisent à se poser des questions sur la signification même des résultats, et à s’interroger les raisons qui font que les citoyens participent aussi peu à ce fondement de la vie démocratique que sont les élections.

Le graphique ci-dessous est l’un de ceux qui figurent en annexe. Il est un bon exemple, montrant la croissance des taux de votes non-exprimés, de votes d’extrême droite et, au total, du taux de citoyens « hors système ».

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2      France d’en haut et France périphérique

Alors, faut-il condamner ces mauvais citoyens, graines de fascistes, qui ont perdu le sens des valeurs républicaines, cette grande conquête que l’humanité doit aux Lumières, à l’Occident et en particulier à la France ?

Je condamne résolument les idées des partis d’extrême droite, partis pour lesquels votent de plus en plus de citoyens, et je mets un point d’honneur à aller voter. Mais il est trop facile de rejeter dans le caniveau cette majorité, souvent large nous l’avons vu, d’un peuple qui vote si mal on ne vote pas, plutôt que de chercher à comprendre cette évolution si inquiétante : contrairement à ce que pense Manuel Valls sur les mérites de la politique de l’autruche, il vaudrait mieux comprendre, cela pourrait aider à agir pour tenter de contrôler cette ascension : est-elle irrésistible ou résistible ?

Cela fait des années qu’est menée la réflexion sur ce sujet. On peut citer, parmi beaucoup d’autre, les analyses de Dominique Goux et Éric Maurin en 2004 (voir les références et la citation données dans la note 4), et plus récemment les travaux de Gilles Kepel seul : Passion française. Les voix des cités, Gallimard Témoins, et Quatre-vingt-treize ; de Gilles Kepel avec Antoine Jardin : Terreur dans l’hexagone. Genèse du djihad français ; de Hervé Le Bras et Emmanuel Todd : Le mystère français ; de Christophe Guilluy : La France périphérique : comment on a sacrifié les classes populaires et Le Crépuscule de la France d’en haut ; d’Emmanuel Todd seul : Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse [8].

Pour résumer de façon simple l’idée majeure qui ressort de ces réflexions et s’affine progressivement, on peut dire que :

  • l’approche pertinente pour comprendre les rapports de force actuels nécessite de définir des classes et des couches sociales avec une approche socio-économico-géographique ;
  • la distinction majeure qui doit être faite sépare les couches qui bénéficient de la mondialisation et du néo-libéralisme de celles qui y perdent ;
  • les couches qui en bénéficient se concentrent dans les grandes métropoles urbaines, en particulier avec les « bobos » et la bourgeoisie traditionnelle ;
  • les couches qui en souffrent sont rejetées dans une lointaine périphérie péri-urbaine ou rurale ; elles y sont cantonnées sans grand espoir de mobilité, ne serait-ce que du fait du coût du logement dans les métropoles, qui est un frein supplémentaire à une sortie du déclassement ; il s’agit souvent de populations françaises depuis assez longtemps, constituées en particulier d’ouvriers et d’employés souvent précaires et à temps partiel contraint et de chômeurs : c’est celles qui constituent ce que Christophe Guilluy appelle la France périphérique[9] ;
  • les populations d’origine immigrée plus récente (1e, 2e voir 3e génération) sont regroupées dans des quasi-ghettos proches du centre des métropoles, constituant ainsi un réservoir de main d’œuvre pour des tâches nécessaires au fonctionnement des métropoles (services d’entretien, services à la personne…) ; il s’agit d’un sous-prolétariat, mais, contrairement aux couches de la périphérie il bénéficie, certes à la marge, d’une mobilité sociale (apparition d’une classe de petites entrepreneurs…).

En termes de vote, cela se traduit par les faits suivants :

  • le vote d’extrême droite n’est plus, depuis longtemps, un vote de vieux nostalgiques de l’Algérie française ;
  • le vote d’extrême droite et la non-participation aux élections sont majoritairement le fait des couches qui souffrent, celles de la périphérie ; or ces couches sont majoritaires dans la population et le resteront encore longtemps, voire accroîtront leur poids au fur et à mesure du déclassement ;
  • les populations d’origine immigrée plus récente ont dans un premier temps, à partir de 1981, voté pour la gauche de gouvernement, en particulier pour le PS ; elles ont ensuite été déçues par la manipulation mitterrandienne qui s’est concrétisée par la récupération de la Marche des Beurs, transformée en SOS Racisme; elles ont de nouveau, après les émeutes de 2005 et jusqu’en 2012, cru que le PS pouvait leur apporter beaucoup par rapport à la politique sarkozyste [10], et cela s’est traduit par des inscriptions massives sur les listes électorales ; mais elles ont ensuite été de nouveau déçues ; la situation actuelle traduit un éclatement entre des groupes communautarisés avec une radicalisation croissante qui, quand ils votent, le font souvent sur des critères communautaires pour le candidat le plus clientéliste, indépendamment de sa couleur politique ; des groupes de petits entrepreneurs des banlieues qui de plus en plus votent pour la droite de gouvernement ; un groupe important de cette population qui s’abstient ; etc. ;
  • les couches qui bénéficient de la mondialisation, celles des grandes métropoles, qui sont minoritaires et destinées à l’être de plus en plus, sont les principaux soutiens des partis de gouvernement ; schématiquement les « bobos » pour la gauche de gouvernement, la bourgeoisie traditionnelle pour la droite de gouvernement.

Le PS, comme Les Républicains et les centristes, sont, explicitement ou implicitement, des vecteurs de la mondialisation et du néo-libéralisme. Et c’est plus explicite qu’implicite : il suffit de se référer à l’essai de Terra nova, think tank proche des instances dirigeantes du PS, paru en mai 2012 avant la dernière présidentielle, intitulé Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ? , commenté sur ce blog dans l’article « Le PS voulait perdre son électorat : il a réussi ». Cet essai définit la cible électorale que préconise la droite du PS, ou plutôt sa cible marketing. On voit bien qu’il n’y a plus d’orientation réellement socialiste dans tout ça :

Si la coalition historique de la gauche est en déclin, une nouvelle coalition émerge. Sa sociologie est très différente :
– Les jeunes. […]
– Les diplômés. […]
– Les minorités et les quartiers populaires [mais la suite parle plus de la diversité que des « quartiers populaires » dans leur ensemble] [11].
– […] Les femmes.
[…] Contrairement à l’électorat historique de la gauche, coalisé par les enjeux socioéconomiques cette France de demain est avant tout unifiée par ses valeurs culturelles, progressistes.

Cette collusion objective, pour reprendre une vieille expression, entre les partis de gouvernement de gauche et de droite est constatée par des gens qu’on ne peut soupçonner de proximité avec l’extrême droite. Daniel Cohn-Bendit dit par exemple : « Il faut arrêter de se mentir, l’UMPS existe bien [12] ».

En ce qui me concerne, je mets un point d’honneur à ne pas m’abstenir. Mais l’action des partis de gouvernement comme la personnalité et les pratiques des élus et candidats de mon quartier me placent très souvent devant un choix cornélien, ou un choix entre la peste et le choléra. J’ai voté Chirac au second tour de la présidentielle 2002, mais on ne me reprendra pas à un geste de ce genre. Il ne me reste, trop souvent, au second tour, que le vote blanc ou le vote nul : je me classe donc dans ces « hors système ». Suis-je populiste pour autant ? Je ne le crois pas.

3      Quelles politiques pour combattre cette évolution ?

Il est assez stupéfiant que devant cette manifestation d’une méfiance croissante, désormais largement majoritaire, de l’électorat vis-à-vis de l’offre politique traditionnelle, les partis de gouvernement ne réagissent pas : pour eux, c’est business as usual. Sans doute notre classe politique pense-t-elle, comme M. Valls, qu’il faut ne pas chercher à comprendre. En effet, cela pourrait la forcer à se remettre en cause…

Il ne s’agit pas ici de proposer un programme politique cohérent. Je vais seulement rappeler quelques pistes, qui sont connues depuis des lustres, mais soigneusement laissées de côté par les majorités successives, pistes qui contribueraient à améliorer la situation des laissés pour compte de la France périphérique et à réconcilier une opinion publique qui se détourne de plus en plus du projet européen : cette amélioration paraît une condition nécessaire au retour vers la démocratie de ces couches sociales qui s’en éloignent de plus en plus, et représentent désormais souvent une large majorité de l’électorat potentiel. Je parlerai de l’école et de l’Europe.

3.1    Éducation

3.1.1    Mixité sociale

Un article du 31-08-2016 sur le blog de Thomas Piketty s’intitule « Le gouvernement souhaite-t-il vraiment la mixité sociale ? ». Il contient le graphique suivant, qui classe les collèges parisiens en fonction du taux d’élèves issus de familles de profession et catégories sociales (PCS) défavorisées. Les collèges privés sont identifiés en rouge. Ce taux est compris entre 0,6 % et 63 %, et, à de rares exceptions près, les collèges privés sont dans le 1e tiers de la distribution et aucun d’entre eux n’a un taux supérieur à 25 %.

art_44_311gPiketty fait les commentaires suivants.

Autrement dit, les collèges privés pratiquent une exclusion quasi complète des classes sociales défavorisées, et contribuent ainsi fortement à la ségrégation scolaire d’ensemble. […]
Ces résultats ont une implication forte : si l’on souhaite véritablement faire progresser la mixité sociale, alors il serait hautement préférable de faire rentrer les collèges privés dans une procédure commune d’affectation des élèves aux collèges. Si on les laisse en dehors du système, et que l’on tente de faire progresser la mixité au sein des seuls collèges publics, alors on risque fort d’accentuer la fuite des familles favorisées vers le privé (déjà un tiers des enfants, demain la moitié ?).
On entend déjà les cris horrifiés des parents et des enseignants du privé face à cette privation de leur sacro-sainte liberté de recrutement. Sauf qu’à partir du moment où ils bénéficient d’un financement public massif, il est normal que ces établissements soient soumis à des règles communes, pour les programmes bien sûr (c’est le cas depuis longtemps), mais aussi pour les règles d’affectations des élèves, comme cela se passe déjà dans de nombreux pays européens.

Et il conclut son article par ces mots.

Plus généralement, il est temps que le ministère accepte un véritable débat public sur ces questions démocratiques essentielles, et mette fin à l’opacité extrême qui caractérise les procédures d’affectation des élèves. […] Ce refus persistant de la transparence menace aujourd’hui de miner la confiance des parents et des élèves dans des procédures qui peuvent pourtant être porteuses d’un véritable progrès social.

Et que pensez-vous qu’il arriva ? Les « cris horrifiés », ou, comme dit Berurier, les « cris d’orfèvre », ne vinrent pas que « des parents et des enseignants du privé », mais aussi, et très rapidement, de la ministre de l’éducation nationale : le 07-09-2106, LeMonde.fr publie une interview intitulée « Pour Najat Vallaud-Belkacem, ‘‘on ne fera pas progresser la mixité par des décisions imposées’’ ». Elle y dit : « Je crois qu’il faut rompre avec le mythe français de la mesure globale uniforme, du grand soir politico-technocratique. […] Après, bien sûr que les travaux scientifiques sont utiles. Mais de grâce, arrêtons les leçons ! […] Les politiques que nous venons de mettre en place traitent le problème au cœur de la loi de refondation de l’école de 2013» : en clair, c’est « Circulez, y a rien à voir ! ». Le parti socialiste a été au pouvoir durant 19 des 34 dernières années, et le graphique ci-dessus montre ses résultats pour la mixité scolaire. Il semble s’être réveillé sur le sujet… en 2013. Peut-on y croire ?

3.1.2    Gestion des ressources

Prenons un autre exemple sur la réforme du collège. De nombreuses études ont fait des propositions convergentes, qui n’ont jamais été mises en œuvre.

  • En 1982, paraît le rapport Legrand Pour un collège démocratique[13]. Les principaux contributeurs du rapport – j’ai échangé à ce sujet avec l’un d’entre eux – ont été fortement déçus de la non-prise en compte de leur travail.
  • L’étude de Thomas Piketty et Mathieu Valdenaire intitulée L’impact de la taille des classes sur la réussite scolaire dans les écoles, collèges et lycées français[14], publiée en 2006, dit :
[…] des simulations simples indiquent que [l’]écart [entre les scores moyens obtenus en ZEP et hors ZEP aux évaluations de mathématiques de début de CE2] pourrait être réduit d’environ 46 % si l’on mettait en place une politique de moyens forte (mais pas irréaliste), avec une taille de classe moyenne réduite de 5 élèves supplémentaires en ZEP [il s’agit du primaire], pour un nombre total d’enseignants inchangé et donc des moyens constants au niveau national (ce qui conduirait en CE1 à une taille moyenne des classes de 15,9 en ZEP et de 24,1 hors ZEP). La diminution des scores hors ZEP entraînée par une telle politique serait d’autant plus limitée que nos estimations indiquent un impact de la taille des classes est nettement moins important pour les enfants socialement favorisés.
[…] une forte politique de ciblage (5 élèves de moins en ZEP) conduirait à une réduction de l’inégalité de 22% au collège et de 4% au lycée.
Pour résumer, nos résultats indiquent que des politiques réalistes de ciblage des moyens peuvent avoir un effet considérable sur la réduction des inégalités scolaires, mais que ces politiques gagneraient probablement à se concentrer sur les plus jeunes élèves. […] Il est tout à fait possible de réduire substantiellement l’inégalité des chances scolaires en France au niveau du primaire et du collège, pour peu qu’on le souhaite.

Ce type de mesure n’a jamais été envisagé par les majorités successives depuis 2006, et la gauche au pouvoir a au contraire dilué les budgets consacrés aux ZEP, RAR, RSS et autres réseaux ÉCLAIR sur un plus grand périmètre. Le récent rapport du CNCSO [15] intitulé Inégalités sociales et migratoires. Comment l’école amplifie-t-elle les inégalités ? le démontre de façon éclairante, en revenant sur l’intérêt d’une réaffectation des ressources vers des zones prioritaires redéfinies sur un périmètre restreint – le contraire de la politique mise en œuvre par le gouvernement et encensée par Najat Vallaud-Belkacem.

Le récent essai Réformer le collège, élaboré sous la direction de François Dubet et Pierre Merle [16] va dans le même sens. Il cite d’ailleurs dans sa bibliographie l’étude de 2006.

Certes, ce type de mesures risquerait de se heurter à des réticences et à des rigidités : par exemple, l’idée qu’on peut déjà, à ressources constantes, améliorer à ce point l’efficacité de l’école primaire se heurte à des revendications souvent purement quantitatives d’accroissement des effectifs et des moyens [17].

3.1.3    La laïcité au cœur de la mobilisation de l’École

Les décisions de politique scolaire annoncées après les attentats de janvier 2015 [18] annonçaient une « grande mobilisation de l’École pour les valeurs de la République », et non pas pour la mise en œuvre de ces valeurs : elles mettaient essentiellement l’accent sur la mobilisation de l’école pour la laïcité et la transmission des valeurs républicaines et sur le développement de la citoyenneté et de la culture de l’engagement. Le combat contre les inégalités et pour la mixité sociale n’apparaissaient qu’en 3e position, et les orientations retenues n’étaient pas celles proposées au § précédent.

Je perçois cette politique comme plus axée sur des actions culturelles et la communication que sur l’action concrète pour l’égalité. À mon avis, c’est les priorités inverses qu’il aurait fallu retenir, en mettant en œuvre une politique forte de lutte contre les inégalités et pour la mixité sociale, qui aurait rendu crédibles les actions culturelles. Le choc des attentats permettait de faire passer des mesures difficiles comme celles évoquées plus haut, et cela n’a pas été fait. Ce n’est pas en mettant l’accent sur le rétablissant de cours de morale républicaine sans faire réellement grand-chose contre les inégalités qu’on est le plus efficace.

L’échec en 2014 de la mise en œuvre de l’ABCD de l’égalité, attaqué par des croyants de droite et intégristes, chrétiens comme musulmans, sous le prétexte de l’introduction de la « théorie du genre » à l’école, confirme qu’aborder ces sujets en partant de la culture et pas d’une action efficace soutenue par de bonnes actions culturelles est extrêmement risqué. Les vieux marxistes parleront des rapports entre infrastructure et superstructure.

Soyons clairs : je crois profondément que la laïcité est un excellent outil, sans doute le meilleur, pour permettre un fonctionnement harmonieux des sociétés où coexistent des cultures diverses. La liberté de conscience, le respect de l’autre, l’égalité, la fraternité sont des valeurs fondamentales, et je suis fier qu’elles soient inscrites dans le marbre constitutionnel français.

Mais je regrette profondément que des préoccupations de politique politicienne perturbent trop souvent, voire dénaturent la mise en œuvre des politiques laïques. La loi de 2004 sur les signes religieux dans l’enseignement élémentaire et secondaire, la loi de 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, la loi de 2013 sur le mariage pour tous représentent à mes yeux des progrès importants, qui étaient nécessaires. Mais ces lois auraient pu être bien meilleures et bien moins clivantes, et dans tous les cas leurs défauts sont la conséquence d’une vue politicienne : elles ont été détournées, au profit d’objectifs politiciens à court terme, des grands objectifs qu’il aurait fallu privilégier. On pourra à ce sujet se reporter à l’article « Laïcité : hijab, burqa et liberté de conscience » de ce blog.

3.2    Europe

3.2.1    Accords commerciaux internationaux

Comme le projet CETA d’accord commercial entre l’UE et le Canada [19], le projet de partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, plus connu sous le sigle TAFTA [20], inclut des clauses extrêmement contestables. Il s’agit par exemple d’instituer, pour trancher des conflits entre entreprises et États, des instances arbitrales privées qui imposeraient leurs décisions : on voir bien qu’il s’agit de supprimer ou de restreindre fortement la capacité des États à faire appliquer leur législation et à maîtriser le degré de régulation qu’ils souhaitent imposer aux produits et services commercialisés à l’intérieur de leurs frontières, par exemple dans les domaines de l’environnement, de la santé, de l’agriculture, de l’alimentation…

Tout gouvernement non ultra-libéral devrait tout faire pour empêcher la conclusion d’un traité incluant ce type de clause. Le récent épisode du refus – provisoire – par le parlement de la région belge de Wallonie, de signer en l’état le CETA a montré qu’il suffisait, en respectant les traités de l’UE, d’oser s’exprimer pour obtenir des réactions [21]. Il suffirait qu’un gouvernement ait exercé son droit de veto lors de l’élaboration du mandat donné aux négociateurs de l’UE pour que ce type d’arbitrage n’ait pas été envisagé dans les négociations. Aucun des 28 pays de l’UE ne l’a fait ! Il n’est pas trop tard pour le TAFTA. Sur qui pouvons-nous compter ?

3.2.2    Union européenne, optimisation fiscale et fraude

Il est proclamé par de nombreux experts depuis la création de l’euro en 1999, et depuis les extensions successives qui ont amené la zone euro de 11 membres à la création à 19 aujourd’hui, qu’une union monétaire sans coordination des politiques budgétaires et fiscales est très risquée. Et cela paraît une évidence à toute personne de bon sens.

La Grèce est entrée dans la zone euro en 2001. La banque d’affaire Goldman Sachs l’avait aidée à maquiller ses comptes pour qu’ils satisfassent aux ratios européens. Mario Draghi était alors vice-président de Goldman Sachs pour l’Europe chargé des « entreprises et pays souverains ». D’après Marc Roche, journaliste au Monde, « l’une de ses missions est [alors] de vendre le produit financier « swap » permettant de dissimuler une partie de la dette souveraine, qui a permis de maquiller les comptes grecs ». Il a été ensuite gouverneur de la Banque d’Italie ; il est, depuis 2011, président de la Banque centrale européenne. La crise de 2015 a montré, pour ceux qui feignaient de l’ignorer, que l’entrée de la Grèce dans la zone euro était, dans les conditions où elle a eu lieu, une erreur.

Chypre et Malte y sont entrés en 2008. Tout le monde savait pourtant que Chypre était « un nouveau paradis fiscal, bancaire et judiciaire », et que cette admission présentait un risque majeur. C’est ce qu’Arnaud Montebourg et Christian Paul avaient rappelé en 2002, dans un article du Monde [22], en posant l’excellent question : « Qui pourrait évaluer les conséquences de l’installation [de] Chypre dans l’UE ? ». Le bienfondé de leur position a été bientôt démontré par la crise financière chypriote de 2012-2013, qui a vu Chypre sortir de facto, sinon de jure, de la zone euro, puisque l’euro chypriote a alors été déclaré inconvertible [23].

Ces décisions trahissent à mon avis des préoccupations plus orientées vers les profits des grandes banques et la bonne santé de certains paradis fiscaux que vers le bon fonctionnement de l’Europe. Et la trajectoire de nombreux cadres dirigeants de l’UE [24] ne rassure pas sur la qualité de leurs arbitrages en faveur de l’intérêt général :

  • le cas de Mario Draghi a été évoqué plus haut ;
  • Mario Monti a été commissaire européen au marché intérieur, des services, des douanes et de la fiscalité (1995-1999) puis à la concurrence (1999-2004), conseiller international de Goldman Sachs (2005-2011), chef du gouvernement italien de (2011-2012) ;
  • Peter Sutherland a été attorney general d’Irlande (1981-1984), commissaire européen à la Concurrence (1985-1989), directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (1993-1995) ; il est président non exécutif de Goldman Sachs depuis 1995 ;
  • Jarel van Miert a été commissaire européen à la Santé et à la Politique des consommateurs (1989-1992) puis à la concurrence (1993-1994 et 1995-1999) ; il a ensuite été conseiller international du groupe Goldman Sachs jusqu’en 2009 ;
  • Lucas Papademos a été gouverneur de la Banque de Grèce (1994-2002), vice-président de la Banque centrale européenne (2002-2010), premier ministre grec (2011-2012) : on peut difficilement imaginer qu’il n’ait pas eu des doutes sur la solidité de l’adhésion de la Grèce à la zone euro… ;
  • José Manuel Barroso a été président de la commission européenne entre 2004 et 2014 ; il vient de prendre la présidence non exécutive de Goldman Sachs International à Londres, quelques jours après le vote des Britanniques en faveur du Brexit, dont on ne peut pas dire que ce soit un succès ni une manifestation de clairvoyance pour la commission européenne et l’ensemble des institutions européennes : belle suite de carrière pour celui de 2004 à 2014 n’a apparemment pas vu venir le Brexit ;
  • Jean-Claude Junker a été gouverneur de la Banque mondiale (1989-1995), premier ministre du Luxembourg (1995 à 2013) et président de l’Eurogroupe (2005-2013) ; depuis 2014, il est président de la commission européenne ; en 2014, LuxLeaks révèle l’organisation de l’optimisation fiscale de plus de 1 000 entreprises, dont de sociétés multinationales (Apple, Amazon, Heinz, Pepsi, Ikea et Deutsche Bank…) grâce à des accords (dits rulings) conclus avec l’approbation de l’administration luxembourgeoise des impôts [25] et (dans leur grande majorité) pendant que J.-Cl. Juncker était premier ministre ; il serait étonnant que celui-ci n’ait pas été au courant et consentant.

Ces liens si nombreux des dirigeants de l’Union européenne avec le monde de la haute finance ou avec des pays pratiquant à grande échelle, même si c’est dans le respect des textes régissant l’UE, le dumping fiscal sont-ils déontologiquement corrects et rassurants ?

Qu’en est-il de la coordination des politiques budgétaires et fiscales au sein de l’UE ? On ne peut pas dire qu’il n’y en a aucune : c’est l’UE qui décide quels articles peuvent bénéficier de la TVA à taux réduit…

Mais cela s’arrête à peu près là. Chaque pays décide par exemple, on le sait, de son taux d’impôt sur les sociétés, ce qui fait que l’Irlande ou les Pays-Bas sont très attirants pour les sièges sociaux. Par exemple, les sièges de Publicis Omnicom Group, de Renault-Nissan, d’EADS et de Gemalto sont aux Pays-Bas.

Échaudée par le succès croissant des sentiments anti-UE (le Brexit et la prise de position de la Wallonie contre le CETA en sont les derniers exemples les plus évidents), la commission européenne paraît se poser – enfin – la question de l’opportunité d’une plus grande convergence des politiques fiscales. Deux exemples :

  • La commissaire européenne chargée de la concurrence, Margrethe Vestager, a commencé à s’attaquer à ces rulings, ces accords fiscaux organisant l’optimisation fiscale, en engageant des procédures pour faire payer des amendes à de très grands groupes : Starbucks pour des accords avec Pays-Bas, Fiat et Amazon pour des accords avec le Luxembourg, une trentaine de multinationales pour des accords avec la Belgique et maintenant Apple pour des accords avec l’Irlande. Pour Apple, le montant évoqué pour l’amende est de 13 milliards d’euros : ses deux filiales implantées en Irlande, sans doute à des fins d’optimisation fiscale, auraient, depuis 1991, payé environ 2 % d’impôts sur les sociétés en Irlande, alors que le taux d’imposition officiel des entreprises y est de 12,5 % [26]. Le gouvernement irlandais a d’ailleurs lancé une procédure d’appel contre cette amende : il préfère ne pas toucher ces 13 milliards et continuer à faciliter l’évasion fiscale à grande échelle sur son territoire, au détriment des autres états de la zone euro…
  • La commission veut présenter début novembre une proposition de directive pour la mise en place d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (Accis), qui serait une 1e étape vers plus de transparence en Europe.

Mieux vaut tard que jamais, mais le fonctionnement institutionnel de l’UE, tel qu’il avait été largement rejeté par l’électorat français en 2005 et tel qu’il a été confirmé par Nicolas Sarkozy en « passant par le fenêtre » parlementaire avec la ratification du traité de Lisbonne en 2008, suppose l’unanimité des 28 (bientôt 27) pour les décisions sur la fiscalité : même si l’UE semble se réveiller, la route sera longue…

3.2.3    Campagne présidentielle : quelle relance de l’Europe ?

On pourrait espérer que la campagne présidentielle française permette de relancer une politique active en faveur d’une évolution constructive de l’Europe. Qu’en est-il ?

Nicolas Sarkozy, dans une interview au Monde [27] en mai 2016, dit clairement ses priorités – qui n’ont rien d’étonnant – :

Mais « Brexit » ou pas, il faudra, dans tous les cas de figure, refonder profondément le projet européen, et cela passera par un traité dont la France doit être à l’initiative, dès l’été 2017.
Qu’y aura-t-il de nouveau dans ce nouveau traité ?
La priorité sera de poser les bases d’un Schengen 2, car Schengen 1 est mort. Je propose que soit créé un euro-Schengen, c’est-à-dire un gouvernement de Schengen composé des ministres de l’intérieur des pays membres, avec un président stable, qui aurait autorité sur Frontex. L’immigration est un sujet qui nécessite un pilotage politique, et non pas simplement un traitement administratif. Je propose par ailleurs que la liberté de circulation des extra-communautaires ne soit plus permise dans l’Union européenne, tant que Schengen 2 ne sera pas adopté.

Ces priorités sont, cela n’étonnera personne, sécuritaires, même s’il parle aussi, sans donner beaucoup de précisions, de gouvernement économique de la zone euro, évidemment sans parler de fiscalité ni d’excès de l’ultra-libéralisme :

Que faire pour renforcer la zone euro, et plus largement l’Union européenne à 28 membres ?
La France et l’Allemagne doivent assurer le leadership de la zone euro. Il faut un vrai gouvernement économique, avec notamment la création d’un secrétaire général qui soit un véritable directeur du trésor européen, pour favoriser la coordination des politiques économiques des États membres de la zone euro. Il faut également que le mécanisme de stabilité monétaire (MES), que nous avions créé avec Mme Merkel au moment de la crise financière, devienne un Fonds monétaire européen. Par ailleurs, je ne comprends pas que le FMI soit toujours présent dans la zone euro. En ce qui concerne l’Union européenne à 28, elle s’occupe de trop de domaines, doit se concentrer sur le fonctionnement du marché intérieur [28] et une dizaine de politiques prioritaires (agriculture, énergie, commerce…). Tout le reste doit être rendu à la souveraineté des États.

Comparons avec les priorités de François Hollande. Un député socialiste européen, proche des frondeurs, disait au printemps 2016 espérer que François Hollande se relance en lançant une initiative pour remettre l’Europe en route, et espérait que cela se produirait durant l’été. Après l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice, F. Hollande a en effet abordé le sujet, en août 2016, dans son discours aux ambassadeurs [29] :

[…] Alors, rien ne sera possible en Europe si la confiance n’est pas retrouvée. Confiance des peuples – beaucoup ne comprennent plus le sens du projet européen – confiance entre les États qui voient l’Union soit comme un excès de discipline, soit comme un excès de solidarité. Confiance envers les institutions européennes, dont les procédures – mais cela ne vaut pas que pour l’institution européenne – ne sont plus adaptées à l’urgence de la période. Une nouvelle impulsion est donc nécessaire.
Arrive le Sommet de Bratislava, le 16 septembre. C’est l’occasion d’en poser les bases politiques, avec une feuille de route pour les prochains mois. Il y a, à mes yeux, deux enjeux essentiels pour l’avenir de l’Europe : la protection des citoyens et la préparation de l’avenir. C’est ce qui peut permettre de retrouver une confiance et un sens. Ce n’est pas une négociation institutionnelle dont nous n’aurons pas besoin, c’est de changements profonds et concrets.

L’analyse correspond à ce qu’affirme le présent article. Et F. Hollande poursuit :

Je soumets donc cinq propositions pour le Sommet de Bratislava. La première est un plan pour la protection des frontières extérieures de l’Europe. […] La deuxième proposition concerne la défense européenne. […] La troisième proposition, c’est l’investissement pour l’avenir. […] La quatrième proposition est d’agir pour que nous puissions lutter ensemble contre le dumping social et fiscal. […] La dernière proposition, c’est que l’Europe doit donner un espoir à la jeunesse.

Pour lui, après l’attentat de Nice et celui de Saint Étienne du Rouvray, les priorités sont, comme elles l’ont toujours été pour Nicolas Sarkozy, la sécurité et la défense. La lutte contre le dumping fiscal et social comme la nécessité de donner un espoir à la jeunesse viennent en dernière position, sans être beaucoup précisées. C’est, à mon avis, la même erreur que pour l’école après les attentats de janvier 2015 : on place l’autorité policière ou morale avant le socio-économique.

Loin de moi l’idée qu’il ne faut pas une action ferme, policière et judiciaire, contre les intégrismes, et en premier lieu contre l’islamisme radical. Mais le fait de toujours mettre l’économique et le social après la répression ou la leçon de morale aboutit à cette désaffection croissante de la France profonde vis-à-vis de l’action politique, et conduit inévitablement à ce qu’on appelle trop facilement du populisme.

Enfin, j’insiste sur le fait que la responsabilité de la perte de confiance croissante dans la démocratie et dans le projet européen n’est pas le fait des institutions européennes, mais des politiciens nationaux : ce sont eux qui font l’Europe, et il suffirait qu’ils aient un petit peu de volonté politique pour l’orienter dans le bons sens. Répétons que l’exemple de la position wallonne sur le CETA démontre qu’un petit acteur peut beaucoup s’il affirme ses positions. Quand nos gouvernants utiliseront-ils pour agir les pouvoirs que les textes leur donnent, y compris avec le droit de veto qu’ils ont sur les très nombreuses décisions européennes qui doivent être prises à l’unanimité ?

 

Pour conclure, il faut rappeler qu’il existe une voie peu explorée pour faire évoluer l’Europe. C’est le titre de l’article de 2013 déjà cité de ce blog : « Les coopérations renforcées, pour sauver l’Europe ! » ; Thomas Piketty dans son article de décembre 2015 « Pour changer l’Europe, Paris et Berlin doivent reconnaître leurs erreurs »[30], écrit : « Seule une refondation démocratique et sociale de la zone euro, au service de la croissance et de l’emploi, autour d’un petit noyau dur de pays prêts à aller de l’avant et à se doter d’institutions politiques propres, pourrait permettre de contrer les tentations nationalistes et haineuses qui menacent aujourd’hui toute l’Europe ».

Et qu’on ne nous oppose pas que ce type de coopération renforcée n’est pas forcément compatible avec les traités, et en particulier avec le traité de Lisbonne : c’est de la langue de bois ! De nombreuses interventions de la BCE depuis 2007, et la gestion par l’UE de la crise chypriote durant le 1e semestre 2013 ne sont pas davantage compatibles avec les traités que l’UE, qui a accepté de violer sa réglementation. Elles ont été décidées puis régularisées : nécessité fait loi.

4      Annexes

4.1    Non-participation au vote

Dans un premier temps, considérons les scrutins où on ne peut identifier la part de l’extrême droite : il s’agit :

  • des cantonales, devenues départementales en 2015, où les nombreuses listes sont très hétérogènes,
  • des référendums, pour lesquels il n’y a pas de vote pour un parti.

Les résultats sont résumés dans les deux graphiques qui suivent [31].

4.1.1    Élections cantonales et départementales

art_44_411gart_44_411dPour les départementales, l’abstention, aux alentours de 35 % des inscrits jusqu’en 2008, croît ensuite pour atteindre ou dépasser 50 % lors de deux élections suivantes. Ces chiffres sont d’autant plus impressionnants que les blancs et nuls n’ont pas été pris en compte.

Dans la suite, j’ai systématiquement additionné les abstentions et les votes blancs et nuls, ce qui revient à considérer les blancs et nuls comme des suffrages exprimés.

4.1.2    Référendums

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Le terme citoyens « hors système » regroupe ici les inscrits sur les listes électorales qui soit se sont abstenus soit ou voté blanc ou nul, puisque il n’existe pas d’étiquette « extrême droite » pour un référendum. Dans le § suivant, le même terme couvre, nous le verrons, un périmètre plus étendu.

Pour les référendums de la Ve République, le taux des « hors système » est resté inférieur à 30 % jusqu’en 1969. Il est ensuite monté, pour évoluer entre 32,7 % et 74,7 %. Notons que ce taux n’est inférieur à 33% que pour les référendums concernant un traité européen (Maastricht en 1992 et le TCE en 2005) et qu’il a été de 46,8 % pour le référendum sur l’élargissement de l’Union européenne ; mais qu’il a atteint 67,5 % et 74,7 % pour les deux autres consultations.

Ces taux sont extrêmement élevés, à l’exception des référendums concernant l’Union européenne, pour lesquels la hausse est réelle, mais plus modérée : il semble donc que l’Europe intéresse encore fortement les citoyens, même si c’est pour s’opposer à un traité. Cette remarque est cependant à corriger par l’importance du taux « hors système » aux élections européennes, qui ne motivent pas les électeurs.

4.2    Non-participation au vote et vote extrême droite

4.2.1    Présidentielle

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Les candidats d’extrême droite étaient :

  • Jean-Louis Tixier-Vignancour en 1965, dans un contexte encore marqué par la guerre d’Algérie (arrivée massive des Pieds-noirs, action de l’OAS…) ;
  • pas de candidat en 1969 et 1981 ;
  • Jean-Marie Le Pen seul en 1974, 1988, 1995 et 2007 ;
  • Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret en 2002 ;
  • Marine Le Pen en 2012.

De 1969 à 1981, après atténuation des séquelles de la guerre d’Algérie, l’extrême droite était marginale (0,6 % des inscrits au maximum). À partir de 1988, son taux oscille entre 8,6 et 14,0 % des inscrits. Mais on peut considérer qu’en 2007 son taux relativement faible, comme la baisse du niveau des votes non-exprimés, est une réaction de l’électorat après le choc du 21 avril 2002, qui a vu Lionel Jospin (11,2 % des inscrits) éliminé dès le 1e tour par Jean-Marie Le Pen (11,7 %), arrivé 2e derrière Jacques Chirac (13,8 %) : en dehors de 2007, le taux oscille en fait à partir de 1998 entre 11,4 % et 14,0 % (14 % pour Marine Le Pen en 2012, contre un maximum de 11,7 % pour Jean-Marie en 2002, complétés lors de cette élection par 1,6 % pour Bruno Mégret). L’élection présidentielle est celle à laquelle l’extrême droite, qui n’avait initialement pas toujours de candidat, réussit désormais ses meilleures performances. Elle paraît désormais solidement installée au-dessus des 10 % des inscrits à la présidentielle, mais aux autres élections, elle reste en dessous de 10 % (à l’exception de 13,4 % aux dernières régionales et 10,1 % aux dernières européennes).

En dehors du même « effet 2002 » sur l’élection de 2007, les non-exprimés et l’ensemble des « hors système » sont en croissance entre 1974 et 2002 et repartent à la hausse en 2012.

4.2.2    Régionales

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Pour les élections régionales, le score de l’extrême droite est dans une fourchette de 7,2 % des inscrits à 13,4 % (en dehors d’un point bas à 5,5 % en 2010). Les non-exprimés croissent assez régulièrement de 25,5 % des inscrits à plus de 50 % lors des deux dernières élections, et les « hors système » de 32,7 % à 64,2 %, en étant au-dessus de 60 % pour les deux dernières élections.

4.2.3    Européennes

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Pour les européennes, le score de l’extrême droite décroît de 6,0 % des inscrits à 2,7 % entre 1984 et 2009, pour remonter à 10,1 % en 2014.

Les non-exprimés croissent assez régulièrement de 42,5 % à 61,1 % de 1979 à 2009 avec une légère décrue à 58,1 % en 2014, qui doit traduire un transfert des non-exprimés vers l’extrême droite.

Les « hors système », eux, croissent de 43,2 % à 68,2 % entre 1979 et 2014.

4.2.4    Législatives

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Enfin, pour les législatives, l’extrême droite oscille entre 2,8 % des inscrits et 9,7 % entre 1986 et 2012, à l’exception d’un point bas en 2007, comme pour les législatives, à 2,8 %.

Les non-exprimés croissent de 29,7 % des inscrits à 43,7 % (avec un point bas à en 1986, qui paraît compenser l’apparition du Front national à 9,7 %), et les « hors système » croissent de 29,9 % à 51,4 % (avec un creux en 2007, où la baisse du Front national n’a cette fois pas été compensée par une hausse des abstentions).

 

© Serge Ruscram, 31-10-2016
Utilisation possible, sous réserve de mentionner l’auteur et l’URL du blog.

[1] FN : 27,7 % des suffrages exprimés ; Union de la droite : 26,7 % ; Union de la gauche : 23,1 % (source : site France politique, de Laurent de Boissieu, qui reprend et met en forme les chiffres du ministère de l’intérieur).

[2] Discours de Manuel VALLS, Premier ministre, à la cérémonie organisée par le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) en hommage aux victimes des attentats à Paris (XXe), le samedi 9 janvier 2016.

[3] En fait, il s’agit de suffrages potentiels non-exprimés.

[4] Dominique Goux et Éric Maurin écrivaient déjà le 13-04-2004 dans un article du Monde intitulé « Anatomie sociale d’un vote », à propos du 1e tour des élections régionales de 2004 : « De façon intéressante, le vote en faveur du Front national a été plus particulièrement fort là où l’abstention l’était également, et plus particulièrement faible là où l’abstention a été marginale. En ce sens, abstention et vote FN ont exprimé lors de ce scrutin deux formes différentes d’un même rejet : une prise de distance globale vis-à-vis du duel central auquel ont fini par donner lieu ces élections régionales ».

[5] Christophe Guilluy, La France périphérique : comment on a sacrifié les classes populaires, Flammarion, 2014 et Le Crépuscule de la France d’en haut , Flammarion, 2016.

[6] Sauf pour les cantonales, où le renouvellement se fait par moitié.

[7] Voir par exemple les travaux de Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen, dont l’article « Ce que s’abstenir veut dire. Une autre forme d’expression politique » dans Le monde diplomatique de mai 2014.

[8] Gilles Kepel, Passion française. Les voix des cités, Gallimard Témoins, 2014, et Quatre-vingt-treize, Gallimard, 2012 ; Gilles Kepel avec Antoine Jardin, Terreur dans l’hexagone. Genèse du djihad français, Gallimard, 2015 ; Hervé Le Bras et Emmanuel Todd, Le mystère français, Seuil, La république des idées, 2013 ; Christophe Guilluy, op. cit ; Emmanuel Todd, Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse [8], Seuil, 2015 ; Ce dernier livre a beaucoup été critiqué, en particulier par des gens qui ne l’ont pas lu. Certes, il s’agit d’un pamphlet, et E. Todd l’a fort mal défendu dans les médias après sa parution, mais il pose de vraies questions et propose des réponses intéressantes et novatrices qu’il serait dangereux de rejeter sans examen.

[9] Voir La France périphérique, op. cit.

[10] Durant cette période, Nicolas Sarkozy était ministre de l’intérieur puis président de la République

[11] Minorités que le PS a désormais perdues.

[12] Et si on arrêtait les conneries, Herné Algalarrondo et Daniel Cohn-Bendit, Fayard, 2016

[13] Pour un collège démocratique. Louis Legrand (dir.). Rapport remis au ministre de l’éducation nationale, La Documentation française, 1982

[14] L’impact de la taille des classes sur la réussite scolaire dans les écoles, collèges et lycées français, Thomas Piketty et Mathieu Valdenaire, Enseignement scolaire. Les dossiers, n° 173, 03-2006

[15] Inégalités sociales et migratoires. Comment l’école amplifie-t-elle les inégalités ? Rapport scientifique, CNESCO, 09-2016

[16] Réformer le collège, François Dubet et Pierre Merle (Dir.), PUF La vie des idées, 2016

[17] Ces propositions ne remettent pas en cause la critique totalement fondée de la diminution des effectifs et de la suppression de la formation des maîtres qui est l’une des graves erreurs du quinquennat de Nicolas Sarkozy. La remise en cause de cette politique, menée depuis 2012, était évidemment souhaitable.

[18] Voir sur le site de l’éducation nationale la page sur les « Onze mesures pour une grande mobilisation de l’École pour les valeurs de la République » présentées le 25-01-2015.

[19] CETA : Comprehensive Economic and Trade Agreement ; en français, AECG : Accord économique et commercial global. Ce traité a été signé le 30-10-2016, mais reste à ratifier.

[20] Différents sigles sont utilisés pour désigner ce traité en projet : PTCI, Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement ; TTIP, Transatlantic Trade and Investment Partnership ; TAFTA, Transatlantic Free Trade Agreement.

[21] Il semble que l’action de la région Wallonie ait abouti à ce que ces tribunaux, dans le cadre du seul CETA, ne soient plus privés mais soient des cours publiques internationales avec des juges dont les mandats seraient encadrés. Il reste à voir comment cet engagement sera mis en œuvre, et si cela suffira à éviter que les entreprises y aient le pouvoir au détriment des États.

[22] « Élargissement de l’Europe : nous exigeons un référendum ! », Arnaud Montebourg et Christian Paul, Le Monde , 20-09-2002.

[23] Au sujet de la crise financière chypriote, on peut se reporter à l’article « Les coopérations renforcées, pour sauver l’Europe ! » de ce blog, déjà cité.

[24] Informations tirées pour l’essentiel de Wikipedia. Certaines sont imprécises, ou peut-être inexactes, mais cela ne remet pas en cause le contexte délétère qu’elles révèlent.

[25] Source : Wikipedia, « Luxembourg Leaks », le 31-10-2016.

[26] Source : « Bruxelles inflige à Apple une amende record de 13 milliards d’euros », Le Monde.fr, 30-08-2016

[27] « Nicolas Sarkozy : ‘‘Brexit ou pas, il faudra refonder profondément le projet européen’’ », LeMonde.fr, 17-05-2016, interview par Alexandre Lemarié, Arnaud Leparmentier et Thomas Wieder.

[28] … qui doit bénéficier, comme chacun sait, d’une concurrence libre et non faussée.

[29] Site de la présidence de la République, « Discours du Président à l’occasion de la Semaine des Ambassadeurs »,  30-08-2016.

[30] « Pour changer l’Europe, Paris et Berlin doivent reconnaître leurs erreurs », Thomas Piketty, LeMonde.fr, 19-12-2015.

[31] Source : pour les départementales, Wikipedia, qui donne une présentation homogène simple ; pour toutes les autres élections, y compris dans le § suivant, site France politique de Laurent de Boissieu

2 commentaires sur “Il ne faut pas désespérer la France périphérique…

  1. Une analyse approfondie de l’expression démocratique,des errements, des politiques pratiquées et des orientations indispensables et possibles pour une évolution positive de la société .
    Il me parait manquer dans cette étude tout ce qui concerne l’évasion fiscale et à toutes les manœuvres financières douteuses(plus de 1000 millards pour l’UE).
    En effet,tous les actes de l’état sont aussi bien souvent soumis à un financement.
    Or,il s’agit selon les origines de sommes rodant autour de 60 milliards soit le déficit budgétaire annuel!.
    Aucun candidat de droite n’a fait la moindre évocation relative à un projet en ce sens!

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    1. Merci pour l’appréciation. Quant aux limites de l’article, je suis d’accord avec vous. J’ai mentionné en début de § 3 que je proposais quelques pistes, et j’aborde au § 3.2 le sujet de la nécessaire convergence des politiques fiscales dans l’UE. Mais cela porte sur l’optimisation fiscale et pas sur la fraude, qui devrait être bien davantage combattue d’une part au niveau européen, d’autre part au niveau français. La droite n’en parle pas pour 2017, et la gauche en a parlé sans aller bien loi. Une piste pour une future version 2 de l’article…

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