Photo : lac Þingvallavatn, Islande
© Serge Ruscram, 04-2013
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Brice Hortefeux, alors ministre de l’intérieur de Nicolas Sarkozy, a dit à propos d’Amine, militant UMP appelé « notre petit Arabe » par un autre militant : « Bon, tant mieux. Il en faut toujours un. Quand il y en a un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes… [1] »
C’était en septembre 2009, lors de l’université d’été de l’UMP.
Nicolas Sarkozy, alors président de la République, a dit que le « drame de l’Afrique » vient du fait que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire. […] Le problème de l’Afrique, c’est qu’elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l’enfance. […] Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine ni pour l’idée de progrès [2] ».
C’était le 26 juillet 2007, lors d’un discours à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal), devant des étudiants, des enseignants et des personnalités politiques.
Le premier a fait, dans un contexte semi-privé, une blague raciste non destinée à être rendue publique. Nous avons sans doute tous déjà fait une blague raciste, ou sexiste, en tout cas une blague dont nous ne sommes pas fiers. Cela n’excuse pas B. Hortefeux, mais sa principale erreur a été d’oublier qu’un personnage public qui parle dans un lieu où il existe des téléphones portables, c’est-à-dire n’importe où, doit être prudent : il n’y a plus grand-chose de vraiment privé.
Le second a, dans un contexte officiel, pris une position précise : même si cette position est à mes yeux fausse sur le fond et dangereuse par son impact en politique étrangère et, en France, sur les politiques d’intégration, il a eu le courage de la prendre devant ceux qu’il critiquait, en l’assumant ainsi fortement.
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En 2012, je pensais déjà que François Hollande mènerait une politique sociale-libérale ; je savais déjà qu’il n’avait que bien peu de convictions en ce qui concernait l’écologie : il suffisait d’entendre Aurélie Filippetti, une ancienne verte, chargée des questions écologiques dans son équipe de campagne, tenter laborieusement de répondre aux questions un peu précises qui lui étaient posées dans un café-débat ; elle a souffert, mais, juste retour des choses, elle est maintenant ministre, et, heureusement pour elle, pas de l’écologie. En 2012, j’ai voté Hollande au 2nd tour de la présidentielle parce que je voulais à tout prix éviter le retour d’une équipe dont je ne supportais ni ce type de prises de positions ni la politique qu’elle menait, plus que parce que j’avais confiance dans la politique que mènerait F. Hollande.
Et François Hollande, président de la République, « a évoqué le déplacement de Manuel Valls en Algérie – qu’il pensait à venir mais dont, en fait, le ministre revenait tout juste – : ‘‘Monsieur le ministre de l’Intérieur qui va nous quitter peut-être pour aller en Algérie … [Puis, se rattrapant] Il en revient sain et sauf, c’est déjà beaucoup !’’ [3] »
C’était le 16 décembre 2013. C’était dans un contexte officiel. Cela se voulait sans doute un trait d’humour, mais c’est grave : faire ce genre d’humour sur un État auquel nous lie une longue, riche et souvent douloureuse histoire, qui est sorti, on espère à peu près complètement, d’une sanglante guerre civile, dont sont originaires de nombreux travailleurs immigrés chez nous et de nombreux français, est de mauvais goût et politiquement dangereux. Et exprimer « ses sincères regrets pour l’interprétation qui est faite de ses propos [4] » sur l’Algérie, comme dirait Cyrano, « C’est un peu court, jeune homme ! »
Mais surtout, F. Hollande n’a pas eu le courage de tenir ces propos en Algérie : il l’a fait lors d’un dîner à l’Élysée donné pour les 70 ans du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). Cette fine allusion à l’intégrisme musulman devant des représentants d’une communauté qui y est confrontée était-elle utile ? Rappelons que Caroline Fourest, qui ne peut être soupçonnée de bienveillance vis-à-vis de l’intégrisme musulman, dit qu’aujourd’hui, « le danger vient de l’intégrisme majoritaire, c’est-à-dire catholique » : pour elle, « la religion majoritaire a profité de la droitisation du débat, de la peur de l’islam, clairement agitée par la classe politique, pour ouvrir une deuxième brèche, pour se poser en partie intégrante de l’identité française, du patrimoine culturel, et regagner du terrain [5] ». François Hollande ferait-il partie de ces politiques qui agitent la peur de l’islam ? Aurait-t-il parlé délibérément pour renforcer les communautarismes ? On n’ose l’imaginer. Était-ce par inconscience, sans voir le risque qu’il courait de les renforcer ? Dans les deux cas, c’est indigne de quelqu’un qui s’affirme laïque et qui est président de la République française, dont la constitution dit, dès son article 1e, que « La France est une République […] laïque ».
Alors, en 2017, que voterai-je ? Au 1e tour, je sais pour qui je ne voterai pas. Au 2nd tour, j’aurai sans doute le choix entre deux de quatre personnages politiques. Comme on dit dans l’armée, « De la gauche vers la droite, numérotez-vous » : François Hollande, Nicolas Sarkozy, Jean-François Copé, Marine Le Pen. Dur, dur de faire son devoir de citoyen…
© Serge Ruscram, 23-12-2013
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[1] Source : « La blague auvergnate d’Hortefeux, son « pire souvenir politique » », LeMonde.fr, 24-08-2012, accessible uniquement aux abonnés.
[2] Source : « Discours de Dakar », Wikipedia, 23-12-3013.
[3] Source : « Gaffe de Hollande sur la visite de Valls en Algérie », FranceTVInfo, 21-12-2013
[4] Source : « Hollande exprime ses « regrets » après sa plaisanterie sur Valls et l’Algérie », LExpress.fr, 22-12-2013
[5] La Laïcité, c’est par où ?, Charlie hebdo, 11e hors-série (09-2013), « Entretien avec Caroline Fourest », propos recueillis par Gérard Biard.