1er mai 2017 à Paris
Photo : La Liberté guidant le peuple (fragment), Eugène Delacroix
© Wikimédia
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Ce premier mai, entre les deux tours de l’élection présidentielle, c’était la désunion syndicale. Voici quelques impressions que j’ai eues dans la manifestation « Pour nos exigences sociales – Contre l’extrême droite », organisée à l’appel de CGT, FO, FSU et Solidaires de la République à la Nation.
J’ai rendez-vous à Bastille, et, à 14 h 30, nous commençons à remonter le boulevard Beaumarchais pour gagner le départ de la manif’ à Répu. Elle n’est pas encore partie, mais des groupes sont déjà sur le parcours, immobiles.
Et c’est déjà un choc : un premier cordon de flics, sans doute des policiers, sur plusieurs lignes, est l’arme au pied (au sens propre) en tête du cortège qui n’a pas encore démarré, face aux manifestants. Les flics sont déguisés en Robocop, tout en noir, avec casque, masque à gaz, armure en fibre de carbone. Certains ont lanceur de flash ball, fusil à lunette, ou un tas d’autres armes impressionnantes. Devant eux, un contingent de la France insoumise. Puis… un 2e cordon d’au moins 4 lignes des mêmes Robocops, face aux manifestants suivants. Mais le 1e contingent de ces manifestants est un groupe homogène et dense de quelques dizaines, sans doute deux cents personnes : tous sont habillés en noir, cagoulés de noir, un foulard noir sur le nez et la bouche.
La loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 « interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public » précise dans son article 1 que « Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». Elle permet aux forces de l’ordre de verbaliser les femmes en burqa, ce que je trouve bien. Mais, malgré le nombre de flics par manifestant à cet endroit et leur armement, qui leur donne une impressionnante supériorité, ils n’ont, semble-t-il, pas la consigne d’interpeller ces « manifestants », qui constituent clairement un groupe d’anar’ venus pour en découdre, sans doute infiltrés par quelques flics : ces anar’ seraient donc incomparablement moins dangereux pour la société qu’une femme isolée en burqua.
Derrière ces présumés casseurs (je sais, il y a la présomption d’innocence, mais allez voir les photos, par exemple sur le site du Parisien [1]), cette fois sans cordon de flics, les vrais manifestants, CGT en tête.
Et la manif’ démarre, le cordon de flics « avançant à reculons » comme m’a dit une amie.
La stratégie fixée à la police est donc de :
- former en tête de manif’ une nasse dont on ne pourra pas s’échapper ;
- découper la manif’ en tronçons, en séparant le bon grain (ou plutôt l’assez bon grain), les syndicats qui annoncent assez clairement qu’ils poussent à voter Macron, de l’ivraie, la France insoumise qui appelle seulement à barrer la route au Front national ;
- laisser le SO [2] de la CGT au contact avec les casseurs, alors que leur rôle est d’encadrer leurs troupes et pas de maintenir l’ordre.
L’ordre de dangerosité décroissante est donc, aux yeux du ministère de l’intérieur, la femme isolée en burqa, puis la France insoumise, puis les casseurs, suffisamment peu dangereux pour qu’on les laisse en contact direct avec la CGT.
Trois quarts d’heure plus tard, la tête de manif’ a avancé de 300 m, et la nasse la bloque à l’entrée de la place de la Bastille. Évidemment, ça dégénère tout de suite. Des cocktails Molotov sont lancés directement sur les flics (voir les autres photos du diaporama cité plus haut). Si j’étais croyant, je dirais que c’est un miracle qu’il n’y ait « que » six policiers blessés, dont deux gravement.
La technique de la nasse et de l’impunité des casseurs n’est pas une nouveauté : elle était déjà systématique au moment des manifs’ contre la loi « Travaille ! ». On a du mal à croire qu’il n’y a pas une volonté politique de ce gouvernement, qui se proclame socialiste et qui est en fait libéral et même pas social-libéral, de provoquer la violence dans les manifestations.
Et je m’interroge sur l’objectif politique que cela cache. Au moment de la loi Travaille, on peut comprendre que ce gouvernement cherchait à discréditer les manifestants. Mais entre les deux tours de l’élection présidentielle, cela ne peut avoir comme effet que de radicaliser la droite et l’extrême droite contre les violences imputées aux manifestants mais en fait provoquées par la stratégie de la police, et de dégoûter l’extrême gauche, ce qui accroîtra le nombre d’abstentions et de votes blancs et nuls : cela fait le jeu de Marine Le Pen. Alors, politique de la terre brûlée ? J’ai du mal à comprendre.
Et cette politique repose sur l’envoi à l’abattoir, ou plutôt à l’incendie, de la base des forces de maintien de l’ordre. Ce n’est pas cette base qui est responsable des violences, c’est la hiérarchie qui les téléguide.
C’est avec un gouvernement « socialiste » que cela se passe comme ça avec. Imaginons Marine Le Pen présidente avec une majorité Front national. Que deviendra la liberté de manifester ?
C’est pour cela que, la rage au cœur, je vais malgré tout voter Macron.
© Serge Ruscram, 02-05-2017
Utilisation possible, sous réserve de mentionner l’auteur et l’URL du blog.
[1] Voir en particulier la photo 7/12 du diaporama (vue le 02-05-17 à 17 h) : s’agit-il de gentils manifestants ?
[2] Pour les macronistes, peu habitués à manifester, SO signifie service d’ordre.